Accélérer l’accès au numérique : un impératif de transformation économique en Afrique occidentale et centrale
samedi 28 août 2021
Avant la crise planétaire de la COVID-19, 51 % soit un peu plus de la population mondiale avait accès à l’Internet. Ce taux ne dépasse guère 30 % pour les pays d’Afrique occidentale et centrale.
La crise sanitaire a révélé l’impérieuse nécessité d’un accès démocratique et équitable à une connectivité de haut débit abordable et sécurisée. A cause du strict confinement des populations, de nombreux services n’ont pu être disponibles pour les habitants des différents pays que par le biais de l’Internet. Dans ce contexte, la demande universelle pour ce service va continuer d’augmenter de façon exponentielle. Les pays de l’Afrique de l’Ouest et centrale ne seront pas en reste et devront approfondir les reformes et attirer les investissements nécessaires pour une digitalisation accrue des services, condition essentielle pour une croissance économique forte, résiliente, verte et créatrice d’emplois de qualité.
L’enjeu est donc considérable et les opportunités significatives. Bien que les défis ne sont pas à sous-estimer, le potentiel dont dispose la sous-région de l’Afrique occidentale et centrale permet d’espérer une accélération de la numérisation de son économie. Pour y parvenir, trois étapes seront nécessaires :
Premièrement, nous devons nous mobiliser contre la fracture numérique pour améliorer l’accès abordable et l’utilisation de l’Internet.
Les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale sont confrontés à un quadruple défis à relever : (1) une faible couverture et qualité du réseau ; (2) des coûts d’exploitation élevés ; (3) des barrières non tarifaires qui élèvent les risques d’exploitation et renchérissent les investissements et (4) une faible ou le défaut de concurrence.
Fournir des services financiers via des téléphones portables se révèle difficile lorsque moins de 40 % de la population possèdent un cellulaire. Cette disparité entre « possédants » et « démunis » affecte de façon disproportionnée les populations rurales, les femmes et les groupes vulnérables de la région et s’accompagne également de différences nationales significatives. Pour un Go de données mobiles à haut débit, les Centrafricains doivent consacrer plus de 20 % de leur revenu moyen, contre 0,5 % pour les Égyptiens.
Au Sénégal, seules 26 % des petites entreprises utilisent des smartphones, contre 65 % au Brésil. Lors d’une pandémie, l’accès à un smartphone connecte les gens, mais se révèle aussi un outil indispensable aux entreprises et aux économies.
Un rapport conjoint de la Banque mondiale et de la Commission du haut débit des Nations Unies estime le coût de la réduction de la fracture numérique en Afrique d’ici 2030 à 100 milliards de dollars.
Il nous faut donc augmenter les investissements et attirer les opérateurs et partenaires stratégiques nécessaires en mobilisant des capitaux privés, ainsi qu’aborder les risques du capital et créer des alliances stratégiques entre gouvernements et opérateurs privés. Il convient également de soutenir la conception et la mise en œuvre de politiques et réglementations pour réduire les risques et encourager les investissements privés dans les infrastructures numériques. Ces deux leviers permettront de résoudre les problèmes d’accès aux services et rendre la connectivité efficace.
A mesure que l’infrastructure numérique s’améliore, il est nécessaire que les secteurs public et privé puissent promouvoir et inciter l’adoption de l’Internet en développant des systèmes et des applications qui permettront aux populations d’effectuer des transactions en ligne, comme répondre à des appels d’offre du gouvernement, effectuer des transactions bancaires ou faire des demandes de carte de crédit.
Deuxièmement, nous devons mettre en place des infrastructures numériques de dimension et de qualité adéquates.
Nos récentes recherches estiment à 500 millions le nombre de personnes en Afrique n’ayant pas de pièce d’identité officielle, ce qui leur rend difficile l’accès aux services clés et ne leur permet pas de bénéficier des opportunités créées par la numérisation.
Les systèmes d’identification de certains pays d’Afrique de l’Ouest et centrale ne sont encore ni inclusifs, ni fiables. Les approches couramment utilisées, manuelles et sur papier pour identifier des populations rendent difficiles, tant pour les gouvernements que pour le secteur privé la réduction des fraudes et du gaspillage.
Les identifications numériques alignées sur les dix principes d’identification pour le développement durable offrent la possibilité d’étendre les réseaux et de transformer les prestations de soins de santé, d’accès à l’éducation ainsi qu’aux services financiers et a d’autres services clés, en particulier pour les populations rurales, les femmes et les groupes les plus vulnérables.
Heureusement de plus en plus de pays africains sont bien avancés dans ces processus, et une grande majorité d’entre eux le font déjà grâce aux appuis technique et financier de la Banque mondiale et à son programme d’Identification pour le développement (ID4D).
Les identifiants numériques sont l’un des trois composants des infrastructures numériques, avec les paiements numériques et les plateformes de base de données fiables. Une infrastructure numérique permet tant aux particuliers qu’aux entreprises de prouver et vérifier leur identité en toute sécurité, d’effectuer et recevoir des paiements en toute facilité, de partager et vérifier les données personnelles telles que les antécédents de crédit et les qualifications académiques. Combinées, ces fonctions génèrent des avantages sociaux et économiques importants et accélèrent la transition vers les économies, les sociétés et les gouvernements numériques.
Pour la réussite de ce programme de transformation numérique, nous devrons développer une meilleure collaboration avec l’ensemble des institutions nationales afin de permettre d’une part aux Africains d’avoir plus de contrôle sur leurs données personnelles et d’autre part faciliter aux gouvernements que leurs programmes et services de transferts monétaires atteignent les bénéficiaires tout en réduisant la fraude et l’évasion fiscale.
Enfin nous devons penser avec audace à des approches régionales et continentales.
Tout en poursuivant les efforts de numérisation au niveau national, les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale doivent regarder au-delà de leurs frontières. Je suis persuadé que le succès dans l’économie numérique nécessite des économies d’échelle et des effets de réseau bien au-delà de ce qu’un pays peut réaliser tout seul.
Nos recherches récentes en Afrique de l’Est montrent qu’un marché numérique plus intégré et compétitif parmi six pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) générerait jusqu’à 2,6 milliards de dollars de PIB et 4,5 millions de création d’emplois dans la sous-région. Le potentiel d’un marché numérique intégré en Afrique de l’Ouest et centrale et à l’échelle continentale est encore plus important.
Pour faire de cette vision une réalité, nous devons aider les pays à moderniser et à harmoniser leurs télécommunications, à mettre en place des politiques de protection des données et des réglementations pour promouvoir les investissements dans les infrastructures haut débit et cloud à l’échelle régionale, et un accès général aux services avec un contenu numérique pertinent – y compris dans les zones démunies. Ceci comprendra également l’établissement de politiques d’enregistrement des entreprises et de taxation numérique, ainsi que des paiements numériques transfrontaliers rapides, peu coûteux et fiables pour débloquer commerces numérique et électronique.
Rien de tout cela ne peut survenir du jour au lendemain. Une transformation numérique en Afrique nécessitera un leadership et une collaboration accrus de la part des gouvernements, du secteur privé et de la société civile. Nous travaillons déjà en étroite collaboration avec des partenaires sous-régionaux, continentaux et internationaux.
La COVID-19 offre une opportunité unique d’inverser les inégalités et de promouvoir une croissance économique forte. L’accélération de la transformation numérique de l’Afrique peut faire partie de cette réalité. Elle nécessitera de combler la fracture numérique, de créer des infrastructures numériques et de réaliser un marché numérique unique. Nous devons agir maintenant.
Ousmane Diagana, Vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et centrale [1]
(Source : Digital Business Africa, 28 août 2021)
[1] De nationalité mauritanienne, Ousmane Diagana est vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et centrale depuis le 1e juillet 2020. Dans ce rôle, il coordonne les relations de la Banque mondiale auprès de 22 pays et gère un portefeuille de projets, d’assistance technique et de ressources financières de plus de 38 milliards de dollars.
Avant d’être nommé à ce poste, M. Diagana était le vice-président des ressources humaines du Groupe de la Banque mondiale. À ce titre, il a mené la stratégie globale de la Banque en matière de ressources humaines et supervisé l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie de gestion du personnel du Groupe de la Banque mondiale, ainsi que des politiques, programmes et services en matière de ressources humaines.
D’octobre 2015 à janvier 2018, M. Diagana était le vice-président en charge du département d’Éthique et de Déontologie du Groupe de la Banque mondiale.
Mentor et modèle professionnel, M. Diagana est reconnu pour son leadership organisationnel. Il a apporté à cette fonction une profonde connaissance des opérations de la Banque mondiale, une réflexion novatrice et stratégique, des compétences de gestion reconnues et une perspective unique sur les bureaux de pays.
Auparavant, il était directeur des opérations de la Banque mondiale pour la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Benin, la Guinée et le Togo, basé à Abidjan. Avant cela, il était basé à Bamako en tant que directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Mali, le Niger, le Tchad et la Guinée. Entre 2006 et 2009, il était Chargé de programme senior au Maroc. En cette qualité, il a assuré efficacement la supervision d’équipes diverses et multidisciplinaires pour la mise en œuvre de stratégies et d’opérations novatrices, y compris dans des États fragiles ou en conflit. En 2009, M. Diagana a reçu le Prix du bon manager de la part de l’Association du personnel du groupe de la Banque mondiale en reconnaissance de son leadership.
Ousmane Diagana a rejoint la Banque en 1992. Titulaire d’un diplôme en économie, finance et planification, ainsi que d’un diplôme en politique d’éducation et analyse, il parle six langues (français, anglais, arabe, soninké, fulani et wolof).