Le projet de Me Wade d’acquérir 35% des actions des entreprises de téléphonie au Sénégal est démonté par des économistes. Ils mettent à nu l’impertinence et l’incohérence de la démarche.
La volonté du président Wade de faire en sorte que le Sénégal détienne 35% des actions de chaque société de téléphonie au Sénégal, des techniciens de l’économie l’ont scruté à la loupe.
L’économiste Moubarack Lô qui estime que la détention des 35 % par l’Etat des actions de Tigo, de Sonatel ou d’Expresso, doit être « dicté plus par des considérations stratégiques que par des soucis de gagner des dividendes » il clame qu’ « à terme l’Etat devait même se retirer, en tout cas du capital de la Sonatel, et laisser ça à des privés nationaux, l’Etat fait du portage ». Et M. Lô de douter de l’opportunité d’un tel projet :« Est ce que c’est opportun, je ne suis pas sûr pour Tigo et Expresso. Moi j’aurais plus pousser pour que ces entreprises ouvrent leur capital à l’actionnariat populaire national, plutôt que l’Etat puisse être partout, parce que ça n’a pas de sens pour moi. Aujourd’hui ça n’a pas de sens, d’entrer dans le capital de Tigo ou Expresso pour ressortir plus tard ».
Moubarack Lô : « ça n’a pas de sens, d’entrer dans le capital de Tigo ou Expresso pour ressortir plus tard »
Moubarack Lô qui souligne cependant qu’il ne s’agit pas d’une nationalisation de ces entreprises, a estimé à 150 milliards de Francs Cfa, le prix minimum que l’Etat devrait payer pour entrer en possession des 8% qui lui manquent pour détenir les 35% à la Sonatel. « Maintenant le coût des 8%, il lui faudrait au moins 150 milliards. Donc Est ce que le jeu en vaut la chandelle ? c’est à l’Etat d’apprécier. Sachant que si la Sonatel fait des bénéfices de 60 milliards, il peut récupérer 13 milliards ou 12 milliards, il lui faudrait à peu près 10 ans en comptant que le bénéfice doit augmenter pour récupérer » prévient-il.
Pour les deux autres sociétés de téléphonie, « Tigo n’a pas investi en termes d’infrastructures quasiment pas, contrairement à Expresso qui a créé un réseau terrien. Tigo utilise les infrastructures de Sonatel. Donc pour entrer dans le capital de Tigo ça coûterait moins cher ». Par contre, « Expresso a acheté sa licence à 200 millions de dollars et a investi. OK. Scène de jalousie. ça devrait être beaucoup plus cher. Et est ce que c’est rentable pour l’Etat ? Parce qu’Expresso n’a même pas encore amorti. Et ne devrait pas faire beaucoup de bénéfices avant plusieurs années. Donc acheter aujourd’hui 35% des parts d’Expresso pourrait s’élever à 50 milliards au minimum, si on prend juste les investissements et les bénéfices escomptés ». C’est pourquoi se demande-t-il si « l’Etat a intérêt à débourser 50 milliards sur une société qui peut avoir des difficultés à faire des bénéfices dans le court terme ».
Demba Moussa Dembélé, Chercheur : « Est ce que ce n’est pas lié aux élections, pour trouver de l’argent et régler les problèmes immédiats »
Demba Moussa Dembélé, Economiste et Chercheur, lui se demande « pourquoi 35% d’abord ». Car indique-t-il, « Tout d’un coup on parle de 35% ». « Avec la Sonatel l’Etat avait 49%, et a revendu une partie de ses actions à France télécom parce qu’il avait besoin d’argent. Qu’est ce qui nous dit que 35% c’est juste pour régler des problèmes au jour le jour. Et ce n’est pas conçu dans une perspective à long terme. Est ce que ce n’est pas lié aux élections, pour trouver de l’argent et régler les problèmes immédiats. Ce sont des questions certainement que beaucoup se posent. Et j’avoue que je ne comprend pas cette volonté subite de prendre 35% des sociétés de téléphonie » a t-indiqué.
Malick Sané, enseignant à l’Ucad « au niveau de la politique d’ensemble il y a des hésitations » qui « ne donnent pas suffisamment de visibilité aux investisseurs » Même s’il trouve que « c’est une mesure qui peut être salutaire pour l’économie nationale. Parce que marquée par la présence de l’Etat dans des secteurs qui rapportent des gains pourrait permettre au pays de disposer de ressources pour espérer réaliser des investissements », Malick Sané, enseignant en économie internationale se veut prudent. « Il y a le revers de la médaille. Au niveau de la politique économique d’ensemble, il faut qu’il y ait une cohérence », fait-il remarquer. Mieux rappelle-t-il, « quelques mois de cela, il était question de privatiser, aujourd’hui il est question que l’Etat renforce ses parts ». Des manières de faire qu’il assimile, à « des hésitations » qui ne sont pas sans conséquences néfastes. Puisque, elles « ne donnent pas suffisamment de visibilité aux investisseurs étrangers ». C’est pourquoi il souligne, « la politique doit être quelque chose de véritablement stable pour que les actionnaires puissent avoir une certaine visibilité ».
Youssouf Sané
(Source : Le Populaire, 22 octobre 2011)
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