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Comment créer une «   ville intelligente  » à l’africaine  ?

mardi 31 octobre 2017

Marquées depuis plusieurs décennies par des crises urbaines, beaucoup de villes africaines s’autoproclament comme des «  villes intelligentes  » — influencées par un contexte de mondialisation et de course à la métropolisation. Alors qu’elles doivent faire face à une urbanisation galopante, une pression et spéculation foncière, une bidonvilisation des espaces périphériques des grandes villes et la question épineuse de la pauvreté d’une part importante des populations, elles cherchent ainsi à exister sur le plan international.

Ainsi, certaines d’entre-elles (Diamniadio – Dakar, Casablanca, Kigali, Nairobi, etc.) avec bon nombre d’acteurs (les États, les collectivités locales) et de partenaires (de grandes institutions internationales et de grands investisseurs multinationaux tels qu’Atos, Eiffage, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement, l’Eiffage, l’Atos, etc.) adoptent l’idée de la ville «  la ville intelligente  ». Celle-ci apparait comme une solution pour résoudre toutes les crises évoquées, en s’inspirant de modèles de planification urbaine importés des pays développés. En effet, «  la ville intelligente  » devient une sorte de logo, une marque de fabrique, de publicité (Chenal, 2013) et s’inscrit dans une dynamique de planification urbaine stratégique pour attirer des touristes et des investisseurs internationaux.

Cependant, peut-on vraiment valider cette conception africaine de la ville intelligente, si l’on sait que chaque pays, chaque ville a des réalités singulières  ? Ne serait-il pas plus pertinent de penser une ville intelligente à l’africaine qui prendrait en compte — dans sa fabrication — tous les problèmes que rencontrent les villes africaines comme des équations à résoudre de façon «  intelligente  »  ?

Pour expliquer intelligiblement la problématique de la ville intelligente en Afrique, dans cet article, nous interrogeons d’abord, l’expression «  ville intelligente  » pour connaître ses caractéristiques et ses modalités, avant de finir par analyser les conditions de son adaptabilité dans les pays africains.

Définition et identification de la ville intelligente

D’abord, la ville intelligente est généralement définie comme une ville «  connectée  » — en faisant référence à l’accès au numérique et à ’internet. G. Dupuy (1992), évoque l’idée «  d’informatisation de la ville  ». Toutefois, cette définition paraît simpliste, car la ville intelligente est dans une dynamique plus globale qui met en interaction — selon une approche systémique — plusieurs éléments complémentaires (loisir, habitat et logement, transport et mobilité, services essentiels comme l’accès à l’eau, l’électricité et plus récemment le numérique) afin de créer un équilibre et une amélioration des conditions de vie des habitants, quelle que soit leur catégorie sociale. Giffinger, dans un article publié en 2011, a mis en évidence cette approche globalisante de la ville intelligente. Pour lui, les villes intelligentes peuvent être identifiées selon six principales dimensions : une économie intelligente (collaborative et adaptée), une administration intelligente (souple, intégrée et participative), un environnement intelligent (écologique, sobre, vertueuse), une mobilité intelligente (douce et efficiente), des habitants intelligents (acteurs dans fabrication de la ville). En d’autres termes, une ville intelligente est un système qui concilie de façon cohérente plusieurs «  sous-systèmes  » qui tournent autour de trois principales thématiques : l’économie, le social et l’environnement avec les usages numériques comme toile de fond. Cependant, les usages numériques ne fabriquent pas fondamentalement et exclusivement une ville intelligente  ; ils doivent être compris et pris comme des outils qui interagissent avec d’autres éléments structurants et non une fin.

Ensuite, une ville intelligente est aussi résiliente et inclusive. Autrement dit, c’est une ville qui répond aux besoins urgents et fondamentaux de ses habitants pour l’amélioration de leur cadre de vie et l’assurance d’un minimum de confort et de bien-être.

La résilience d’une ville intelligente se mesure par sa capacité à résister aux aléas naturels, à se remettre, à revenir à son état de départ, suite à une perturbation ou un choc majeur (catastrophes naturelles, etc.). Enfin, une économie équilibrée, intégrée, une justice sociale et spatiale assurent l’inclusivité d’une ville.

Les différents paramètres évoqués sur la ville intelligente sont parfois mal-maîtrisés, voire non pris en compte dans les villes africaines. À Dakar — par exemple —, il suffit d’avoir quelques gouttes d’eau de pluie pour que des inondations à ruissellement urbain bloquent toutes les activités, donc une bonne partie de l’économie — sans compter les conditions de précarité que celles-ci créent chez de nombreux habitants vivant dans des habitats informels sur le long des espaces périphériques de la ville (Pikine, Yeumbeul, Médina Gounass, etc.). Dans ces circonstances, la planification d’une ville intelligente serait de faire en sorte que la ville soit résiliente, c’est à dire capable de se redresser après un choc naturel  ; au lieu de miser sur un modèle de ville connectée, importé des pays développés, qui améliorerait le quotidien d’une partie infime de la population.

Quelle ville intelligente africaine ?

Au regard de la définition globalisante de la ville intelligente, l’approche la plus appropriée serait d’adapter son modèle de ville aux réalités locales. En effet, l’intelligence et la cohérence de la démarche d’une ville intelligente se trouvent dans cette capacité d’adaptation et de prise en compte des spécificités locales.

Malheureusement, les démarches de planification de quelques villes africaines qui s’autoproclament «  villes intelligentes  » ne sont pas dans cette dynamique d’adaptation et de prise en compte des spécificités socioéconomiques de chaque ville. Peut-on qualifier une ville «  intelligente  », si le modèle de ville est importé d’un pays où les configurations socioéconomiques et spatiales sont différentes des siennes  ? À cette question, Carlos Moreno, spécialiste de la ville intelligente, répondrait non. En effet, selon lui (2017) : «  le point de départ essentiel de toute réflexion sur la ville doit ainsi se situer dans la reconnaissance du fait que chaque ville possède une histoire et un territoire qui lui sont propres, qui forgent son identité et en font une entité unique et singulière  ».

En réalité, il n’existe pas un modèle de ville intelligente figé  ; on modélise la ville de sorte qu’elle puisse s’adapter à un contexte social particulier. L’intelligence prend tout son sens quand la ville assure un minimum de confort et de réponses aux besoins urgents et contemporains de la majorité des habitants. De plus, l’intelligence d’une ville ne se trouve pas forcément dans la course à la modernité 2.0  ; mais plutôt dans sa capacité à être utile à tous ses habitants. Par exemple, Diamniadio et Kigali tendent vers des modèles de «  villes intelligentes  », importés de l’occident et vitrines de la mondialisation, mais une analyse pragmatique permettrait de remettre en cause leur réelle utilité, si l’on sait déjà les conditions de vie précaires des habitants aux alentours (l’accès à l’électricité et l’adduction en eau potable défaillants à proximité de Diamniadio, urbanisation anarchique autour de Kigali) et le prix à payer pour mettre en place ces villes, dans un contexte de tarissement des finances publiques.

De même, dire que Nairobi a sa «  Silicone Valley  » est bien pour sa publicité et son image de marque, pour sa propension à devenir la plus grande «  technopole  » africaine, mais cette image paraît inutile, car les solutions à apporter pour la régulation des habitats informels en périphérie de la ville seraient plus urgentes. Que faire de ces milieux de pauvres qui peinent à bénéficier des rentes de cette «  technopole  »  ? L’urgence est donc ailleurs  ! Promouvoir des solutions et innovations technologiques toutes faites est bien, mais interroger les conditions de leur intégration cohérente dans l’existant est un important travail à faire en amont.

En outre, en Afrique, la généralisation progressive de l’accès au numérique et à internet est prise comme des atouts et des «  arguments  » par les politiques pour la mise en place de «  villes intelligentes  », mais l’intelligence de cette démarche est de reconnaître — en amont — que la fracture numérique, la pauvreté, l’accès aux services essentiels tels que l’eau potable, l’électricité («  une condition de base pour une ville connectée  »)…. sont encore de réelles équations à résoudre dans les grandes villes africaines (Dakar, Bamako, Nouakchott, etc.). La démarche idéale serait — par exemple — d’injecter des possibilités d’usages numériques dans ces services essentiels pour faciliter leur accès et assurer un minimum de confort de vie aux populations par rapport à leurs besoins contemporains – tout en ayant la prudence de ne pas tomber dans le piège d’une approche purement technocentriste.

Enfin, le projet de ville intelligente est bien, mais — en Afrique — il faudrait que tous les habitants y soient investis. En effet, une ville intelligente met l’humain au cœur des dispositifs des politiques de la ville. Donc toute idée de ville intelligente est dénuée de sens si les habitants ne n’y sont pas intégrés comme des acteurs de sa fabrication et de son suivi.

Conclusion

Nous estimons finalement qu’une ville intelligente est une ville construite selon une approche systémique et globale qui met en symbiose le développement urbain et le développement humain. L’intelligence de la fabrication d’une ville intelligente à l’africaine se trouve dans la capacité à l’adapter aux réalités socio-économiques et culturelles des villes pour répondre aux besoins et aux préoccupations les plus alarmantes et utiles des populations, notamment le plus grand nombre (généralement les pauvres dans les villes africaines). Ces préoccupations peuvent être orientées vers les besoins essentiels : parvenir à améliorer l’accès aux soins, à l’électricité  ; mettre en place des systèmes de déplacement doux, adaptés et peu coûteux  ; parvenir à créer une mixité fonctionnelle et sociale afin de donner les mêmes chances à toutes les catégories de population.

En définitive, l’intelligence d’une planification se trouve dans sa démarche cohérente et non dans un fantasme que l’on montre et vend.

Cheikh Cisse [1]

(Source : L’Afrique des idées, 31 octobre 2017)

Post-Scriptum

Bibliographie :

Chenal J. La ville ouest-africaine. Modèles de planification de l’espace urbain, Métis Presses, 2013.

Dupuy G. L’informatisation des villes ; Que sais-je ; Ed : PUF, 1992

Moreno C. Ville et numérique : au-delà de la Data, journal La Tribune, 10/2017.

[1] Littéraire par effraction pour avoir fait les classes préparatoires aux grandes écoles littéraires au début de son cursus, Cheikh CISSE est aujourd’hui analyste, Urbaniste –Chercheur Junior chez la Société Française des Urbanistes et inscrit sur la liste de l’OPQU, également chargé de cours en Géographie. Sa participation à l’Afrique des Idées relève de son engagement pour les questions relatives à l’urbanisme et à la planification des villes africaines (dimensions économiques, sociales et environnementales). La phrase qui symbolise son afro-responsabilité mesuré : « Je détiens quelques clés pour l’aménagement et la planification des villes, notamment africaines ».

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