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Fossé numérique et solidarité numérique par Abdoulaye Wade

vendredi 7 mars 2003

Je ne sais pas si Adam et Eve sont arrivés bébés sur la terre ou adultes, comme on nous les présente, mais je suis sûr que le premier acte qu’ils ont accompli était de communiquer. Peut-être par le regard, puis le geste, ensuite, ou en même temps, la parole.

Par conséquent, la communication est née avec le groupe, à partir de deux. Puis les groupes ont créé des moyens et des instruments de communication : la parole avec ses différentes modulations, la gestuelle, le langage conventionnel, le tronc d’arbre évidé, la musique avec les instruments les plus divers. Voici pour la communication intragroupe.

Puis l’élément d’un groupe s’est aperçu que pour communiquer avec un élément de l’autre groupe, l’un devait apprendre le langage conventionnel de l’autre.

Tant que ces systèmes ont régi les rapports entre les hommes "parlant le même langage", comme on dit, les hommes ont pu aisément communiquer puisque les moyens de communication des uns étaient accessibles aux autres.

Ainsi, à travers le temps, les hommes et les peuples ont transmis des messages dont certains n’ont jamais été décodés, faute de communication. Exemples : les peintures rupestres, les mégalithes, les pyramides et, plus près de nous, le regard de La Joconde.

Le message a toujours été le support de transmission de la connaissance. C’est la liaison communication-savoir.

Mais voilà que des groupes se sont mis à inventer de nouveaux moyens de transport à distance pour transporter des messages : la diligence et la poste, le train, puis l’utilisation de l’électricité, qui a donné naissance aux grandes vitesses de transmission des messages : la TSF, le téléphone ; puis est arrivé le courrier électronique, introduisant l’ère du numérique. Et voici le disque dur, qui toise du haut de ses mégabits les plus grandes bibliothèques, dont il peut transporter le volumineux contenu à distance avec la vitesse de la lumière.

Le numérique est en train de créer un homme nouveau dans une civilisation nouvelle, la société de l’information, dans laquelle n’entre pas qui veut comme dans les premiers temps de l’humanité. Cette fois, il faut payer pour utiliser les équipements coûteux et complexes, ou rester isolé.

Sous l’effet du grand décalage entre les évolutions économiques et technologiques, la société des hommes s’est mise à se diviser en deux groupes séparés par le fossé numérique, le Nord et le Sud.

Au Nord, on possède à la fois l’équipement et l’argent pour payer l’accès ou, si on ne possède pas l’équipement, le prix à payer pour la location, l’accès et l’utilisation. Au Sud, les exclus. Le Nord et le Sud communiquent de moins en moins, avec le risque de ne plus pouvoir communiquer.

Mais qu’on réfléchisse, bien sûr, à l’origine du mal. Ce pourrait être l’excès d’abondance d’une partie de l’humanité, comme le rappelle l’Ancien Testament : "Et la contrée était insuffisante pour qu’ils puissent demeurer ensemble, car leurs biens étaient si considérables qu’ils ne pouvaient demeurer ensemble."

Le fossé numérique s’accompagne ainsi du danger d’isolement de certains peuples, ceux d’Afrique en particulier. Paradoxe et ironie que le continent qui a inventé l’écriture soit, à la fin d’un processus qu’il a lancé, exclu du savoir universel.

Le concept de solidarité numérique est alors proposé comme une stratégie ayant pour but la résorption du fossé numérique grâce à des contributions individuelles "sans douleur".

On définit deux lignes, les marges numériques (idée inspirée de celle de marges de fluctuations monétaires et de serpent monétaire décidés entre deux ou plusieurs pays qui veulent aboutir à des convergences de stabilité relative) : la marge inférieure en dessous de laquelle se trouvent les sociétés exclues de fait de l’information, c’est-à-dire le Sud, la marge supérieure, qui aurait pu se trouver au niveau des pays qui ont atteint ou frisent la saturation, les Etats-Unis par exemple, mais on a préféré positionner cette marge supérieure de façon réaliste. Entre les marges se trouve l’espace de la société d’information standard qui peut être raisonnablement accessible à toutes les sociétés humaines si les pays les plus développés sont animés d’un esprit de solidarité.

Il s’agit donc de hisser ceux d’en bas vers et dans la société d’information, celle-ci étant définie par la présence dans l’espace de société d’information standard d’un certain nombre de critères quantitatifs mesurables et des critères qualitatifs, ces critères étant les attributs de la société d’information.

L’espace entre les marges est appelé le serpent numérique. Serpent parce que cet espace, avec le temps et les progrès dans l’accessibilité à la communication de la communauté internationale dans son ensemble, monte et change d’échelle.

Les critères retenus peuvent être le nombre d’ordinateurs par habitants, le nombre de sites Web, le coût d’accès à l’Internet, le taux de pénétration télécom, etc.

Les acteurs de la solidarité numérique sont la société civile, le secteur privé international et les Etats. Ils agissent dans le cadre d’une charte de la solidarité numérique (à rédiger, peut-être, par les Nations unies, qui la proposera aux acteurs).

S’agissant du financement, il sera créé un fonds de solidarité numérique - on notera que les sommes obtenues sans douleur serviront principalement à acheter des équipements au Nord - alimenté sur la base de contributions volontaires, selon des modalités à arrêter.

Sous ces réserves, et à titre indicatif, les contributions suivantes pourraient être considérées :

- 1 cent de dollar par communication internationale ;

- 1 dollar par achat d’ordinateur personnel ;

- 1 dollar par équipement réseau, etc.

La solidarité numérique peut ainsi réunir des montants très importants perçus sans douleur parce qu’infimes, destinés à financer l’entrée et le maintien d’un grand nombre de pays du Sud dans le serpent numérique. Ainsi sera absorbé progressivement le fossé numérique, sur le chemin de l’e-civilisation. Ce point de vue rencontre d’ailleurs l’opinion prémonitoire de Bill Gates, qui disait que l’Afrique est le prochain marché technologique.

Pour finir, observons que la division de l’humanité en cours est le fait de l’homme dans son manque de sagesse, imbu de sa science, mais ignorant totalement ses conséquences lointaines, alors que les religions nous ont déjà avertis des dangers de la division de la société humaine. Tant mieux donc si, conscients du danger du fossé numérique, les hommes se sentaient engagés par la solidarité numérique.

Alors, bientôt, les octets, se jouant des distances, partiront de Mombasa à la vitesse de la lumière et visiteront Paris, Oslo, Londres ou New York, chargés de sons, de couleurs, de savoir et de joie. Et les immenses richesses scientifiques et artistiques que la société des hommes accumule dans les bibliothèques depuis des milliers d’années pourront, grâce au numérique porteur de savoir, être partagées, au Nord comme au Sud.

(Source : Le Monde 6 mars 2003)

Post-Scriptum

Abdoulaye Wade est président du Sénégal. Il représentait le Sud lors de la table ronde de Genève (17-28 février) préparatoire au sommet mondial sur la société de l’information, qui doit être organisé en décembre.

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