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Telemedecine en Afrique : Le Monde, la propagande technologique et l’internet

jeudi 26 juin 2003

Le 22 juin 2001, le journal Le Monde nous parlait d’une grande action humanitaire :

"La télémédecine permet de rompre l’isolement des malades en Afrique". Un court article qui ressemble à s’y méprendre à la saga en rose d’un dossier d’attaché de presse. Grâce à une association "humanitaire", la Fissa, "Force d’intervention sanitaire satellitaire autoportée", le Sénégal va pouvoir combattre "la bilharziose et la mortalité infantile".

Comment ne pas applaudir debout ?

Et bien non, ça suffit cette bonne conscience pour vendre l’inacceptable !

D’abord, on apprend quand même que cette "Fissa" est "devenue l’opérateur du Centre National d’Etudes Spatiales qui met gratuitement à disposition ses satellites pour l’occasion".

Qu’en termes modernes ceci est joliment tourné : voici le cache-sexe humanitaire d’une entreprise de vente de satellites, qui va permettre d’utiliser la bande passante inexploitée pour l’instant afin de trouver une solution technologique qui servira demain à faire revenir l’argent de l’aide au développement vers les sources industrielles du Nord le plus avancé : "nous voulons démontrer que le spatial est au service du citoyen" (un responsable du CNES).

De quoi s’agit-il ? On envoie des camions équipés d’une salle d’examen dans le nord du Sénégal, avec des étudiants en médecine rémunérés par la Fissa pour repérer les malades, dispenser les soins primaires, mais surtout "transmettre les données biomédicales et leurs analyses via le satellite" grâce à "4 stations de télémédecines", des valises de 7 kilos avec tout le matériel de communication et d’analyse médicale.

Excusez-moi de ne pas fondre en larmes devant tant d’humanitaire.

Certes, envoyer des médecins dans les zones les plus reculées est formidable... mais a-t-on besoin d’une opération de propagande d’une multinationale européenne du satellite pour découvrir cela ? Nous savons très bien que des règles essentielles d’hygiène, de solidarité, de répartition des richesses, feraient rapidement beaucoup plus pour la santé des humains que ces projets pour la "médecine du 21ème siècle". Quand on essaie de me vendre la technologie la plus pointue au nom de l’humanitaire, j’ai du mal à marcher au pas de la "Force d’intervention".

Mais ce qui est plus encore choquant, c’est de voir, dans le même numéro du même journal une page entière consacrée à un problème de société du même type, mais dans un pays riche : "La France commence à manquer de médecins".

Croyez-vous que la "Force d’intervention" doive aussi débarquer à l’"hôpital de Nevers qui a du mal à recruter" ? Car, mutatis mutandis, c’est au même problème que sont confrontés les deux articles : les médecins ne voudraient plus aller loin des centres et des grandes agglomérations. Ni dans la brousse au Sénégal, ni dans la province profonde en France. La télémédecine qui serait bonne au Sud serait donc aussi la solution en France même.

Las, mille fois hélas, le rapport de la "Direction générale de la Santé" a oublié cette merveilleuse solution technoïde pour des propositions plus terre-à-terre : "prime à l’installation", "l’action sur les conditions d’exercice, en favorisant le regroupement géographique de différents professionnels afin de rompre l’isolement et de faciliter la continuité des soins". Bref, favoriser la vie des médecins partout afin d’éviter de voir les meilleurs aspirés par les lumières de la ville (ou par les lumières du Nord dans d’autres situations). Et puis former en plus grand nombre les professionnels de santé (médecins, mais aussi infirmièr(e)s, psychologues,...).

C’est assez choquant que les solutions au Nord et au Sud ne soient pas les mêmes pour des problèmes du même type. Disons-le franchement, le recul des grandes épidémies, le redressement du niveau de santé général partout dans le monde tient plus à la constitution d’un tissu dense de médecins et de centres hospitaliers qu’à l’utilisation des satellites. Car de cette densité va naître non seulement une meilleure répartition des pôles de santé, mais aussi l’acceptation par les médecins d’aller dans des endroits aujourd’hui désertés : ils auront la certitude de s’y intégrer dans une communauté de praticiens. La peur du médecin de campagne de porter seul, jusqu’à plus d’heure, la misère de son coin de pays ne diminuera que lorsque seront établies les conditions d’un partage de ce savoir/devoir.

La même chose s’est produite en France il y a un siècle quand il a fallu envoyer des instituteurs dans les villages les plus reculés. Formés dans les écoles normales, appartenant à la nouvelle culture qui avait besoin de la proximité de leurs semblables, les jeunes instituteurs qui rêvaient des lumières de Paris, sont pourtant partis, "hussards noirs de la République".

Que trouvaient-ils (et surtout elles, qui acceptaient les villages les plus isolés) ? Une place qui dépassait le simple exercice de leur art : dans le village, ils(elles) avaient aussi la responsabilité de construire la citoyenneté républicaine contre les restes du féodalisme. Les structures politiques et institutionnelles de la Troisième République leur ont donné les moyens de cette action, et la reconnaissance qui va avec. L’isolement culturel pouvait être compensé par la capacité à construire un avenir nouveau, démocratique. Le savoir de la lecture et de l’écriture a aussi été utilisé pour répandre d’autres compétences, depuis l’introduction de l’hygiène (combien d’instits ont été les premiers à introduire la purification de l’eau et les filtres Pasteur qui a fait plus pour réduire les maladies que les satellites et les forces d’intervention n’en pourront jamais faire) ou le travail d’organisation sociale (la figure de l’instit - secrétaire de Mairie).

Oui, c’est choquant de voir encore une fois l’Afrique utilisée dans une opération de propagande pour la haute technologie. Qui plus est en appuyant sur la question de la santé que l’on sait si sensible. Il faudra un jour que cesse cette façon manipulatoire de vendre les nouvelles technologies, et que l’on revienne à une utilisation plus raisonnée, plus conforme aux intérêts des humains.

Car on peut aussi voir dans les réseaux internet ou satellitaires d’autres intérêts que cette médecine de clip télévisuel. Par exemple utiliser l’internet pour les deux choses pour lesquelles il a été conçu et qu’il sait bien accompagner : la constitution de communautés d’échange et la circulation de l’information scientifique pour mieux former les médecins. C’est sur des opérations de ce type, qui rendent leur autonomie aux pays du Sud, qu’il vaut mieux concentrer les ressources et utiliser le réseau.

Si on veut rendre attractif les postes reculés, prenons en compte le besoin d’échange communautaire. L’internet, grâce à la constitution, par delà les distances, de communautés permettant l’échange entre praticiens, grâce à la circulation rapide des expériences, grâce à l’échange humain de groupe pour redonner le moral, construire la confiance, évoquer entre collègues les mille et une difficultés de l’exercice d’un métier difficile, surtout en situation d’isolement et devant une avalanche de problèmes, oui, l’internet peut être un outil dans la panoplie qu’il faut dégager.

Et pour cela, on peut aussi utiliser l’internet tel qu’il existe, appuyé sur des outils généralistes (messagerie électronique notamment) qui ont prouvé leurs possibilités même avec des réseaux perturbés, qui utilisent la diffusion technologique pour assurer une baisse des prix, et même, grâce aux logiciels libres, qui permettent la fabrication dans tous les pays de l’insfrastructure nécessaire, sans dépendre de technologies possédées et utilisées au seul profit du Nord comme les satellites.

Et si l’on veut vraiment que la médecine aille dans toutes les zones de la planète, il faudra former en masse des médecins, des auxiliaires médicaux, des infirmières, des kinésithérapeutes, et pour cela utiliser l’internet pour diffuser l’information médicale, le plus largement et gratuitement possible vers les Universités des pays du Sud. Utiliser l’internet pour faire la synthèse entre les découvertes des grands centres de recherche et les méthodes médicales ancestrales, connues dans les pays concernés. Un internet qui offre aux pays du Sud les moyens de construire leurs propres savoirs et leurs propres formations en utilisant les connaissances communes à toute l’humanité. Un internet qui valorise les Universités du Sud, leur capacités de recherche et d’enseignement. Alors, on multipliera le nombre de médecins qui n’auront pas comme seule ambition de partir dans les grands laboratoires New-Yorkais ou Parisiens.

Oui, l’internet et le réseau peut servir la médecine en Afrique... mais pas au travers d’expériences qui nient les réalités locales pour mieux servir la cause publicitaire des pourvoyeurs de technologie.

La vision qui a été décrite dans l’article promotionnel du CNES publié par « Le Monde » est un exemple typique de ce que John Seely Brown et Paul Duguid, dans leur excellent livre "The social life of information", appellent une "vision tunnel". Peu importent les conditions sociales et économiques, les institutions, l’existant humain et organisationnel, un problème posé en termes techniques peut et doit recevoir une solution technique. Sans regarder autour, sans comparer les coûts et les effets, sans recul et sans réflexion. Juste viser le point de lumière au bout du tunnel et foncer droit devant.

Ce n’est pas avec une vision tunnel que l’on utilisera au mieux l’internet et les autres réseaux pour aider à la constitution, partout dans le monde, d’une sociaté démocratique, travaillant à l’égalité de tous devant la santé et l’éducation. C’est au contraire avec une vision sociologique des réseaux, en intégrant les charmes et les multiples possiblités de l’internet dans des projets élaborés par et pour les gens là où ils vivent réellement : sur terre. Ni dans l’espace satellitaire, ni dans le "cyberespace", mais sur terre.

Et pour cela, nous avons aussi besoin d’une presse indépendante, qui ne prenne pas pour acquis comptant les clips publicitaires et "humanitaires" des sociétés multinationales, les "dossiers de presse" des chargés de comm des entreprises de nouvelles technologies. Nous avons besoin d’une presse qui arrête de pontifier et de citer à tour de bras les bêtises les plus éculées, comme cette merveilleuse phrase de conclusion de l’article promotionnel du _Monde_ : "Nous sommes condamnés à réussir pour éviter que l’isolement des hommes, dans les endroits les plus reculés, ne tue davantage que les maladies elles-mêmes". Oui, relisez sans rire, une deuxième fois.

Mais ne nous tracassons pas, toujours dans ce merveilleux numéro du monde une pleine page est consacrée à ces philosophes qui vont vers l’entreprise pour lui "donner du sens". Un jour, un de ces philosophes viendra peut être au conseil de surveillance du Monde. Et on verra du "sens" revenir, on verra qu’il y a deux articles qui proposent des solutions contradictoires à quelques pages d’intervalle, on demandera peut être aux journalistes d’enquêter par eux-même et de mettre en perspective les "solutions" pré-vendues par les trusts multinationaux.

On sortira peut-être de la vision tunnel pour accéder à la démocratie. Ah, si l’internet pouvait aider à cela aussi.

Pour finir, est-ce si vrai que cela que les professionnels de la santé ne vont pas dans les régions reculées ? Ne trouve-t-on pas de si nombreux médecins et infirmières dévoué(e)s pour assurer, même dans les situations de crise, l’aide aux populations ?

Pour avoir une "vision tunnel", il faut aussi accepter de rentrer dans le tunnel.

Interrogeons-nous sur les prémisses, sur le choix du problème à résoudre. Car enfin, nous devons tous avoir en mémoire le comportement extraordinaire des infirmières des rives du Zaire confrontées au virus Ebola. Même sans laboratoire P4, sans satellite et tout en sachant les risques qu’elles encouraient, elles sont restées dans les hôpitaux, dans les dispensaires, elles ont assumé leur merveilleux rôle et ce faisant aidé toute l’humanité à contenir ce redoutable virus, réduisant sa diffusion... au prix de nombre de leurs propres vies.

Un exemple à méditer comme merveilleux contrepoids humain à la solitude satellitaire.

Hervé Le Crosnier

(Source Funredes)

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