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Sanctions des opérateurs téléphoniques Sénégalais : une décision excentrique de l’ARTP ?

vendredi 17 décembre 2021

L’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes du Sénégal (ARTP) a rendu publique le 9 Décembre 2021 des décisions visant à sanctionner financièrement les opérateurs téléphoniques (OPPs) Orange Sénégal, Free Sénégal et Expresso Sénégal.

Dans les paragraphes qui suivent, nous allons essayer d’apporter une réflexion autour de ces décisions et des enjeux techniques sous-jacents. Même si de prime abord, cela semble chose aisée, elle est en réalité plus complexe dans la mesure où nous pouvons facilement tomber dans la partialité. Toutefois, nous nous limiterons à présenter les faits afin de donner des éléments de contexte et technique, permettant ainsi au lecteur d’apprécier au plus juste la situation et les enjeux y afférents.

Quelques faits marquants

En 2007, l’ARTP avait épinglé l’opérateur Orange Sénégal pour des faits d’incidents sur le réseau mobile. Plus précisément, des interruptions répétées et prolongées avaient été observées par l’ARTP sur le réseau mobile d’Orange Sénégal entre 2005 et 2007. Une première demande d’explication, suivie d’une mise en demeure avaient été émises par l’ARTP, avant que la sanction ultime de l’amende ne survienne, sanction prévue dans l’article 4 de la convention de concession signée entre l’Etat et la SONATEL.

Une amende qu’Orange Sénégal avait finalement payé à coût de 3,196 milliards FCFA. Une introduction d’une procédure de recours au rabat d’arrêt n° 55/07 le 08 Août 2007 avait été introduite par l’opérateur. Le 19 Mars 2009, la cour suprême avait tranché en confortant l’ARTP, rejetant ainsi la demande d’arrêt de l’OPP Orange Sénégal.

À noter que la procédure de rabat d’arrêt porte uniquement sur les erreurs de procédures, mais en aucun cas sur les faits.

En 2016, l’ARTP sanctionnait de nouveau l’OPP Orange Sénégal, à travers la décision 2016-002 du 19 Mai 2016, avec une amende à hauteur de 13,959 milliards FCFA. Nous pouvons lire dans cette décision les faits suivants qui étaient reprochés à Orange Sénégal : “Les vérifications effectuées ont permis d’une part, d’établir que SONATEL utilisait encore un système de filtrage des appels vers le service client commercial ou technique… Il est apparu d’autre part, que SONATEL, non seulement, ne garantit pas à ses clients un accès ininterrompu à son service commercial ou technique, la plupart des tentatives d’appels vers les numéros 1413 et 1441 s’étant soldées par des échecs, mais encore facture à ses clients les appels vers le numéro 1413… » A souligner que des mises en demeure avaient déjà été adressées à l’OPP Orange Sénégal depuis 2014, et que ce dernier n’avait pas nier la facturation des appels vers le 1413.

De ce fait, cette sanction portait essentiellement sur la violation par l’OPP Orange Sénégal du décret 2014-770 du 14 Juin 2014. Ce décret précise les contours et les obligations des OPPs en stipulant que : “Les opérateurs s’abstiennent de facturer à leurs clients les appels que ces derniers émettent depuis le territoire national vers un service téléphonique lorsqu’il leur a été indiqué, sous quelque forme que ce soit, que les appels à ce service sont gratuits”, article 6.

Ainsi, contrairement en 2007, Orange Sénégal changeait cette fois ci de tactique en introduisant le 25 juillet 2016, deux lettres (n° 0298/SNT/DG/DRJ et n°0299/SNT/DG/DRJ) de recours gracieux au niveau de l’ARTP. Ce dernier avait donné une réponse favorable à l’OPP Orange Sénégal en reconsidérant la pénalité à 1,5 milliards FCFA.

En outre, l’ARTP avait aussi épinglé les OPPs Orange Sénégal et Free Sénégal (ex TIGO) qui avaient installé et mis en service des liaisons de faisceaux Hertziens clandestins qui n’avaient pas fait l’objet de déclaration officielle. Une perte estimée, pour le contribuable Sénégalais, à 15,5 milliards dont 8,6 milliards causés par Orange Sénégal et 6,6 milliards par Free Sénégal.

Tout récemment, dans les décisions 2021-019, 2021-020 et 2021-021 rendues le 9 Décembre 2021, relatives aux manquements constatés dans la qualité de service ainsi que ceux des obligations contenues dans les cahiers des charges, l’ARTP, conformément à l’article 177 du Code des Communications électroniques, a sanctionné les OPPs Orange Sénégal, Free Sénégal et Expresso à hauteur de 16,727712422 milliards FCFA, 2,528108092 milliards FCFA et 1,028466443 milliards FCFA respectivement.

Que reproche l’ARTP concrètement aux OPPs ?

L’ARTP reproche aux OPPs d’avoir failli aux manquements à leurs obligations en matière de qualité de service (QoS). En effet, l’ARTP avait décidé le 11 Janvier 2021 de délimiter les conditions et modalités de suivi et de contrôle des obligations des opérateurs en termes de couverture, QoS voix, donnée et SMS. L’ARTP définit la QoS comme un “ensemble de caractéristiques d’un service de communications électroniques qui lui permettent de satisfaire aux besoins explicites et aux besoins implicites de l’utilisateur du service”. Par conséquent, la QoS reflète la capacité d’un OPP à satisfaire un utilisateur du service mobile en termes d’accessibilité, intégrité, continuité etc.

En revanche, l’Autorité de régulation des communications électroniques Française (l’ARCEP) définit la couverture radio comme suit : “Une portion de territoire est considérée couverte par un service mobile s’il est possible d’y passer, avec un taux de réussite d’au moins 95%, un appel téléphonique et de le maintenir une minute, à l’extérieur des bâtiments, avec un terminal classique, et en position statique.” Ainsi, la couverture nous informe de la disponibilité du signal dans un lieu donné. À noter que lors de la conception de leurs réseaux, les OPPs distinguent principalement deux types de couvertures : une couverture dite de population et une couverture dite surfacique. La couverture de population cible une couverture avec un pourcentage de population à couvrir, là où la couverture dite surfacique cible une couverture avec un pourcentage de surface à couvrir.

Ainsi, ces deux notions techniques sont bien distinctes et sont importantes à bien comprendre pour pouvoir mieux apprécier de quoi parle lesdites décisions 2021-019, 2021-020 et 2021-021 rendues le 9 Décembre 2021.

  Métrique niveau de champ Métrique QoS
2G RxLev (Received Signal Level ; Niveau du signal reçu) RxQual : quantité représentant la qualité du signal 2G reçu
3G RSCP (Received Signal Code Power ; Niveau du code signal reçu) Ec/No : Ec désigne l’énergie reçue sur le canal pilote et No constitue le bruit. C’est une mesure d’un débit maximum (en dB) : quand sa valeur est grande (i.e. Ec > No), la qualité du signal 3G est bonne ; quand sa valeur est petite (i.e. No > Ec) alors la qualité du signal 3G est mauvaise
4G RSRP (Reference signal Receive Power ; Niveau du signal de référence reçu) SINR : rapport signal sur bruit et interférence. C’est une métrique qui nous informe de la capacité des canaux dans les systèmes 4G : la qualité du signal 4G est bonne quand la quantité SINR (en dB) est grande ; Elle est en revanche mauvaise quand elle est petite

Exemple d’indicateurs clé de performance (KPI) : niveau de champ et la QoS en fonction des technologies (liste non exhaustive)

Les lecteurs intéressés peuvent se référer à la décision n° 2021-002 pour plus de détails.

Ainsi, avec l’aide du cabinet Tunisien Prisma (fournisseur de services pour les performances réseaux), l’ARTP a procédé à une campagne de mesures intensive (de 13 semaines) en utilisant un dispositif et un protocole de mesure utilisé en mode dynamique (i.e. déplacement du mobile) et en mode statique (i.e. mobile fixe). L’objectif principal de cette campagne de mesures est de vérifier la conformité et le respect par les opérateurs de leurs obligations telles que stipulées dans les cahiers de charges. D’après le rapport de l’ARTP mise à disposition, cinq services ont été testés :

  • niveau de champ (niveau de champ reçu, disponibilité du réseau etc.) ;
  • voix (e.g. taux d’appels réussi ; taux d’échec des appels ; taux d’appel coupés et bloqués) ;
  • data (e.g. pertes paquets, taux de réussite des téléchargements ; délai de téléchargements ; délai de téléchargement des vidéos en streaming etc.) ;
  • SMS (envoi SMS entre deux utilisateurs d’un même OPP ou entre deux utilisateurs de deux OPPs différents) ;
  • appels d’urgence pour l’accessibilité du service d’urgence.

Les mesures de champ, ou encore mesures en bande étroite, consistent à mesurer le niveau d’un signal reçu par un récepteur (e.g. notre téléphone mobile) situé à une distance donnée d’un émetteur (une station de base) et à fréquence fixe.

Les mesures doivent être effectuées en considérant différents scénarios représentatifs, permettant de prendre en compte le maximum de cas d’usages et éviter tout biais. Parmi les scénarios nous pouvons distinguer les zones denses (e.g. villes), moins denses (e.g. rurale, village), axes de transports etc. Ainsi, l’ARTP a procédé aux mesures en considérant les régions (villes), les axes routiers, les autoroutes et les zones frontalières présentant une population supérieure à 200 habitants.

Les résultats de la campagne de mesures sont consignés dans un rapport qui est consultable sur le site de l’ARTP. Il ressort de ce rapport technique, que les trois OPPs présentent des manquements en termes de QoS et de couverture, qui sont préjudiciables pour le consommateur Sénégalais. Plusieurs causes peuvent être à l’origine de la dégradation de la couverture ou la QoS, côté OPP (liste non-exhaustive) :

  • mauvaise conception et/ou planification du réseau ;
  • mauvaise optimisation du réseau ;
  • mauvaise maintenance des équipements ;
  • obsolescence de certains équipements du réseau.

Que retenir de tout cela ?

Rappelons que l’ARTP est tributaire de l’Etat du Sénégal, et est le garant du bon respect des obligations des OPPs en toute impartialité. Même si on ne peut pas occulter les efforts conséquents qui restent à faire, et malgré tous les maux qu’on peut lui imputer, il est indubitable que l’ARTP remplit pleinement son rôle de contrôleur. Les résultats de la campagne de mesures sont révélateurs et montrent que les efforts des OPPs ne sont pas à la hauteur des cahiers des charges élaborés.

En outre, l’effort de transparence de l’ARTP, qui en mettant à disposition du grand public les résultats de mesures, mérite d’être souligné afin de permettre aux contribuables d’apprécier la réalité du terrain.

Par ailleurs, l’intersyndicale des Travailleurs de Sonatel qui est montée au créneau (en lieu et place de la direction), n’a pas vraisemblablement contesté les résultats techniques. Elle a plutôt axé son argumentaire vers un “acharnement” et un timing suspicieux (sanction survenant à moins de 3 mois des élections locales), avant de demander un audit de la destination des futurs fonds.

Free Sénégal, à travers son DG M. Mamadou Mbengue et avec à ses côtés M. Momar Ndao président de l’ASCOSEN, a commenté les décisions de l’ARTP en remettant en question la méthodologie utilisée lors la campagne de mesure, avant de suggérer une démarche axée sur le dialogue, en lieu et place d’une démarche coercitive.

Si chacun peut se faire sa propre interprétation, qu’on soit du côté de l’OPP ou du régulateur ou même de l’utilisateur, contraster nos discours devient plus que nécessaire.

Dans ce climat teinté de capitalisme et marqué vraisemblablement par des propos asymétriques et partisans, où naturellement l’intérêt des OPPs est mis à l’avant au profit des utilisateurs, il nous faudrait convoquer la raison et remettre l’utilisateur au centre des intérêts en toute bonne foi.

Ces résultats de mesures doivent fortement interpeller d’abord les utilisateurs qui paient un service, mais aussi les OPPs qui délivrent ce service. Assurer la continuité et l’accessibilité d’un service dans le territoire Sénégalais doit être une priorité absolue pour chaque OPP, mais aussi pour l’Etat. Nous espérons qu’avec ces sanctions incitatives, que les OPPs vont adopter une posture un peu plus rigoureuse et seront en mesure d’orienter leurs investissements et leurs efforts pour combler les manquements dans la couverture et la QoS pour le bien des consommateurs Sénégalais.

(Source : Dialounke, 17 décembre 2021)

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(ARTP, 30 septembre 2023)

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