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Q&R : Les confidences d’un "professionnel" de la cybercriminalité

lundi 4 juillet 2016

Oscar Nkomgho [1] est un jeune homme d’environ 25 ans vivant dans la ville de Douala, au Cameroun.

Il passe complètement inaperçu aussi bien par sa taille moyenne comme celle de beaucoup de gens de son âge que par son accoutrement qui rappelle celui des jeunes gens qui, par d’innombrables activités, forment le secteur informel au Cameroun.

Sauf que ni sa famille, ni la plupart de ses amis, ne savent exactement ce qu’il fait comme activité.

Dans son entourage immédiat, l’on ignore que depuis plusieurs années maintenant, il a fait de l’arnaque sur la toile son gagne-pain quotidien.

"Je me suis lancé dans ce domaine parce qu’un monsieur avait arnaqué mon père et lui avait pris près de trois millions de FCFA ; de l’argent qu’il avait économisé pour nous inscrire à l’école. Et depuis cette année-là, je ne suis plus allé à l’école. Je suis donc venu ici à Douala et au bout de quelques années, je suis entré dans ce réseau où j’exerce depuis six ans", dit-il.

Oscar Nkomgho qui, pour des raisons qu’on peut comprendre, n’a pas souhaité s’exprimer à découvert, lève un pan de voile sur cette activité dans laquelle il a déjà gagné d’importantes sommes d’argent dont il dit lui-même n’avoir finalement rien fait de bon…

Quel est le type d’actes de cybercriminalité que vous exercez en particulier ?

Je fais dans la vente de l’or. Il y a beaucoup de clients qui sont intéressés par l’or, mais qui ne savent pas comment en trouver. Par exemple, il y a quelques années, j’ai eu à traiter avec un client et je lui ai fait croire que j’étais le garde du corps d’un ancien président centrafricain. Je lui ai dit que j’étais à la frontière Cameroun – Centrafrique, en train de fuir avec l’or du président. Mais que comme je n’avais pas de licence d’exploitation, j’étais bloqué et je cherchais rapidement un acheteur. Il m’avait demandé de lui envoyer un échantillon de l’or. Une fois qu’il l’avait reçu, je lui avais dit qu’il fallait qu’il m’aide à faire les papiers parce qu’on ne peut pas voyager avec l’or n’importe comment. Et c’est ainsi que je lui ai extorqué progressivement de l’argent. Parfois, on peut même lui demander de venir sur place, sachant que nous savons où nous pouvons trouver de l’or à lui montrer. Au moment de la vente, il y a un jeu que nous appelons triangle qui consiste à trouver parmi nous un deuxième acheteur qui propose beaucoup plus que le vrai acheteur ; question de relever les enchères.

Comment utilisez-vous internet dans ce marché de l’or ?

Généralement, les propositions se font sur les plateformes de commerce en ligne. Tu peux proposer la vente de n’importe quel produit ; et tu vas voir des prétendants qui vont se manifester pour l’acheter. Il existe plusieurs plateformes du genre ; mais, moi, c’est avec "alibaba.com" que je travaille constamment. Une fois que vous entrez en contact sur ce site, le reste des échanges se fait par mail et parfois par téléphone.

A part la vente de l’or, quelle autre marchandise vendez-vous à travers ces plateformes ?

Il y a les chiots et les perroquets. Tu ne peux pas lancer la vente de l’un de ces animaux sur le web sans que beaucoup de gens ne s’y intéressent. Et les clients sont surtout des Européens.

Et comment arrivez-vous à leur prendre de l’argent ensuite ?

Tu lui dis que tu as un chiot que tu vends et il est intéressé et le plus souvent, il demande même les photos du chiot ou du perroquet. Comme tu ne l’as pas dans la réalité, tu fais des téléchargements sur le net, ou alors, tu peux lui envoyer des photos du chiot ou du perroquet d’un voisin, d’une connaissance ou d’un ami qui en a un. Si le client continue à manifester son intérêt après avoir vu ces photos, vous vous accordez sur le prix. Après, tu lui extorques de l’argent petit à petit en évoquant par exemple les frais de vaccination de l’animal, les procédures administratives, les papiers de l’animal, etc. Plus tard, tu lui dis que tous les papiers sont au point et il faut qu’il t’envoie l’argent convenu, puisque l’animal ne peut pas voyager sans qu’il te paie. Une fois que tu as reçu l’argent, tu peux commencer à faire le dilatoire dans vos conversations suivantes ; et tu peux même aller jusqu’à lui dire que le chien ou le perroquet est mort. Tu peux aussi décider de couper le contact avec lui en ne répondant par exemple plus à ses mails ou ses appels…

Comment les cybercriminels en viennent-ils à s’introduire dans la boîte mail de quelqu’un au point d’envoyer des messages en se passant pour cette personne ?

Il est difficile de pirater la boîte mail d’une personne. Si oui, c’est que c’est l’œuvre d’informaticiens très doués. Vous le savez, dans notre société, il y a plein de diplômés en informatique qui sont sans emplois. Ils peuvent peut-être le faire… Sinon, ce que je sais est qu’en général, les gens oublient de refermer leurs boîtes mail après avoir travaillé dans un cybercafé, souvent à cause des problèmes de connexion. Si bien que quand un nouveau client arrive, il tombe sur une boîte ouverte et il peut l’utiliser et en changer même les paramètres. Il peut même ne rien modifier ; mais, créer une adresse qui ressemble beaucoup à celle-là ; ou alors, il crée une nouvelle adresse qu’il donne à tes correspondants en disant que la précédente est piratée et cette nouvelle adresse, c’est lui qui la tient, bien sûr…

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’exploiter une boîte mail laissée ainsi ouverte à votre arrivée dans un cybercafé ?

Oui ! J’étais entré et j’ai trouvé un monsieur connecté ; quand il est parti, j’ai constaté qu’il n’avait pas refermé son compte. J’ai lu son dernier mail et j’ai constaté qu’il parlait de la douane et il était en contact avec un monsieur en Guinée. J’ai détourné ce client en lui faisant un mail pour lui dire que je viens de constater que la boîte est piratée ; et en lui donnant une nouvelle adresse qui était la mienne. Et j’ai contacté un ami informaticien pour bloquer l’adresse du client qui est sorti, afin qu’elle ne marche plus. Mais, il est apparu après que ce monsieur en Guinée n’était pas intéressant parce qu’il n’avait pas d’argent...

Quelle est la plus grosse opération que vous avez réalisée à ce jour ?

Elle a eu lieu dans un pays voisin du Cameroun en 2013. Bien qu’étant chrétien, je suis allé prier avec les musulmans dans une mosquée où j’ai fait la connaissance d’un riche musulman. Je lui ai dit que je suis le fils d’un ancien ministre des Finances du Cameroun qui est en prison pour détournement de fonds publics. Il m’a pris comme son fils et j’ai eu à lui montrer des photomontages où j’étais avec le ministre. Je lui ai dit que j’étais l’héritier de mon père, mais, qu’en ce moment-là, je ne pouvais pas rentrer au pays parce que j’aurais des problèmes, puisqu’on disait que c’est moi qui avais fui avec l’argent de mon père. Il m’a demandé si c’était vrai. Je lui ai dit oui ; mais que cet argent était à l’état brut, et qu’il fallait encore le travailler. Au fur et à mesure que le temps passait, il s’intéressait davantage à l’affaire et m’avait même finalement hébergé chez lui pendant quelques temps. Pour finir, mes partenaires au Cameroun et moi avions réussi à lui prendre plus de 50 millions de FCFA contre une mallette de faux papier-monnaie.

Dans ce cas précis, quelle a été l’intervention d’internet dans la manœuvre ?

Quelque temps auparavant, dans la préparation de cette opération, j’avais fait concevoir un blog sur lequel j’apparaissais maintes fois aux côtés de mon supposé père ; mais, c’était des photomontages. Il y avait aussi des images sur lesquelles je dépensais beaucoup d’argent, etc. Tout cela pour amener la victime à croire l’histoire que j’allais lui raconter. Ce site internet existe toujours, je l’entretiens et je l’utilise chaque fois que c’est nécessaire…

Et après le coup, cette victime n’a-t-elle pas cherché à vous poursuivre ?

Qu’est-ce qu’elle devait faire ? M’emmener à la police ? Elle ne pouvait pas, puisqu’elle sait que ce qu’elle avait fait elle-même n’était pas normal. Quand tu arrêtes quelqu’un avec une mallette d’argent, tu dois normalement faire une déclaration à la police, plutôt que de chercher à l’exploiter. Ce qu’il faut savoir est qu’on n’a jamais pris quelqu’un d’honnête dans un jeu comme celui-là ; ce sont toujours des gens qui, à la base, ont une conduite un peu louche… Si tu agis de façon droite, c’est difficile de tomber dans ces pièges.

Vous n’avez donc jamais été inquiété par la justice ?

Si ! En 2011, j’ai fait la cellule en Guinée équatoriale où j’étais allé livrer un produit supposé être du mercure à un client avec qui j’avais été longtemps en contact par mail. Mais, la police m’a interpellé et je me suis retrouvé en cellule. Les policiers croyaient eux aussi que c’était du mercure ; mais, les tests ont été négatifs et je leur ai expliqué que ce produit était mon remède que j’emportais toujours avec moi. Et c’est ainsi que j’avais été relaxé ; mais, ce temps perdu avait eu des conséquences graves, puisque j’avais raté le rendez-vous avec le client ; et l’opération qui portait sur environ 50 millions de FCFA avait échoué.

Certains se passent pour des femmes et tissent des relations sur le web allant jusqu’aux promesses de mariage avec des partenaires en occident. Pratiquez-vous aussi ce genre d’opération ?

Moi personnellement, non ! Mais j’ai un ami ivoirien qui est spécialisé dans cette façon de faire. Il a des sites d’où il télécharge des photos de très belles femmes pour créer des comptes sur Facebook et les réseaux sociaux en général et en particulier sur les sites de rencontres. Ensuite, il s’efforce de maintenir une activité constante sur ces profils pour qu’on sache qu’il (ou elle) est réel(le) et dynamique. Comme les Européens sont généralement curieux et demandent souvent à parler avec la femme qu’ils voient sur les images, il s’en va chercher une belle femme pour venir discuter avec son correspondant. Puis, quand celui-ci est de plus en plus convaincu et amoureux, il commence à lui poser des problèmes de toutes sortes qui amènent son correspondant à lui envoyer chaque fois de l’argent. Quand son correspondant se rend compte qu’il s’agissait d’une arnaque, il est trop tard et il a déjà perdu beaucoup d’argent.

Quelle est la marge de réussite que vous avez dans les opérations que vous essayez ?

Tous les jours, on essaie ; mais, le plus souvent, ça ne marche pas. On est constamment en train de réfléchir pour chercher comment opérer. Ce qu’il faut savoir est que ça demande beaucoup de patience ; car, pour entretenir l’espoir d’une victime jusqu’à ce qu’il vous envoie de l’argent, ça peut parfois prendre des années.

Est-ce que vous comptez passer toute votre vie à mener cette activité illégale ?

Non ! Pour tout ce que tu fais, la conscience finit par te juger, et c’est ce que je vis maintenant. Sincèrement, je suis en train de vouloir abandonner tout cela. J’ai commencé une formation de guide touristique. Toutes ces grosses sommes que j’ai déjà eues, je n’ai rien fait avec. Or, le temps passe et il faut devenir responsable. Pourquoi ne pas avoir une maison, une femme, des enfants ?

Julien Chongwang

(Source : SciDev, 4 juillet 2016)

[1] Pour les besoins de la préservation de son anonymat, la personne interrogée dans ce document a préféré se faire appeler Oscar Nkomgho.

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