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Où sont les gisements d’emplois dans le secteur TIC en Afrique subsaharienne ?

samedi 11 mai 2013

Malgré le boom incontestable des réseaux mobiles en Afrique, l’évolution des effectifs des opérateurs de télécommunications semble stagner, voire diminuer. Jean-Marie Blanchard explique les raisons de ce phénomène, et met en avant l’importance cruciale du développement des services à valeur ajoutée dans la création d’emplois.

Réseau Télécom Network : Combien le secteur TIC a-t-il créé d’emplois durant la dernière décennie ?

Jean-Marie Blanchard : Si l’on considère l’évolution des effectifs des opérateurs de télécommunications, on observe, contre toute attente, que, malgré le boom des réseaux mobiles ces dernières années, ces effectifs sont restés globalement stables, avec depuis peu une tendance à la baisse. Ainsi, en Côte d’Ivoire, hors périodes de crise, sur la décennie 2000-2010 ils ont augmenté d’environ 3500 personnes, et au Bénin d’environ 2000 personnes avec un parc SIM 2,5 fois moindre qu’en Côte d’Ivoire. Ce constat s’explique par le fait qu’il s’est produit une compensation entre la baisse des effectifs de l’opérateur historique et la croissance de ceux des opérateurs mobiles ; ainsi, les effectifs des opérateurs mobiles, qui représentaient 25% de l’ensemble des effectifs des opérateurs ivoiriens, en représentent aujourd’hui près de 75%.

Cependant, si les effectifs sont restés relativement stables au plan quantitatif, il n’en est absolument pas de même au plan qualitatif. En effet, les emplois d’aujourd’hui sont nettement plus productifs qu’ils ne l’étaient au début des années 2000 : en Côte d’Ivoire, le ratio du « chiffre d’affaires par abonné » a été multiplié par trois (à plus de 200 000 FCFA par employé) et le ratio « nombre d’abonnés par employé » s’est trouvé quant à lui multiplié par plus de vingt (à près de 5000 abonnés par employé). Il convient également de souligner les différences de productivité entre l’opérateur historique et les opérateurs mobiles ; ainsi, le ratio « chiffre d’affaires par abonné » est nettement plus élevé chez les opérateurs mobiles, dans un rapport 2 à 4 selon les pays.

Il faut bien noter cependant que les effectifs des opérateurs de télécommunications ne représentent pas à eux seuls la totalité des emplois créés dans le secteur TIC. Il est aussi nécessaire d’y ajouter les effectifs des différents prestataires de services de l’écosystème que sont, par exemple, les installateurs de sites radios, particulièrement consommateurs de main d’œuvre, ou encore les sociétés de services informatiques et autres développeurs de sites web, sans oublier les emplois publics (ministère, autorité de régulation, agences TIC). Par ailleurs, à ces emplois directs s’ajoute un important gisement d’emplois indirects dont il est certes difficile d’estimer précisément le nombre : il s’agit essentiellement de sous-traitants des opérateurs mobiles tels que les agences de publicité (il y a quelques années, les opérateurs y consacraient encore jusqu’à 5% de leur chiffre d’affaires), les sociétés de gardiennage de sites radios (dont les effectifs mobilisés sont supérieurs à ceux employés directement par les opérateurs), ou encore les fournisseurs/livreurs de produits pétroliers pour le ravitaillement des groupes électrogènes.

RTN : Vous avez jusque-là parlé d’emploi dans le secteur formel, mais chacun sait qu’en Afrique le secteur informel joue un rôle majeur dans la commercialisation des services mobiles.

JMB : Effectivement, et c’est là une originalité majeure qui caractérise le modèle économique des opérateurs mobiles africains et qui explique le niveau élevé des ratios de productivité évoqués plus haut, qui ne tiennent pas compte de la valeur ajoutée des intervenants du secteur informel, notamment dans le réseau de distribution. Une étude réalisée en 2009 en Côte d’Ivoire avait montré que le nombre de vendeurs de crédits pouvait être estimé à 100 000 pour un parc de 10,5 millions de SIM, soit sensiblement un vendeur pour 100 SIM actives. Sachant qu’il y a aujourd’hui plus de 400 millions de cartes SIM en Afrique subsaharienne, il pourrait donc y avoir, en première approximation, plus de 4 millions de vendeurs de cartes en activités ! À ces entrepreneurs informels, il faut également ajouter les vendeurs et réparateurs de portables, les boutiques de recharge de batteries, etc. Évaluation à rapprocher du chiffre produit par le GSMA dans une étude récente qui estimait que le nombre total d’emplois formels et informels dans la téléphonie mobile en Afrique était de 3,5 millions en 2011. Lors de la crise qui a éclaté au Bénin en 2007 suite à une suspension de trois mois des licences des opérateurs mobiles privés, chacun a pu être témoin de la grave gêne occasionnée chez les acteurs informels très dépendants de l’activité de téléphonie mobile : de nombreuses familles se sont brutalement trouvées sans revenus pendant plusieurs semaines d’affilée !

Les intervenants du secteur informel sont souvent critiqués, voire méprisés par les acteurs publics et privés du secteur formel, ces derniers se plaignant pour les uns de pertes fiscales, et pour les autres de concurrence déloyale, et pourtant, les uns comme les autres tirent grand profit du secteur informel ; les revendeurs de cartes ou les gérants de téléboutiques informelles ne sont-ils pas d’efficaces collecteurs d’impôts qui « récupèrent » auprès de chaque acheteur final la TVA facturée dans le prix de chaque recharge de crédit ? De même, les opérateurs mobiles ne trouvent-ils pas grand intérêt (réduction significative des OPEX notamment) dans ce réseau de distribution informel, rémunéré à hauteur de 5% en moyenne, et qui leur permet de ne pas avoir à gérer un parc d’abonnés, comme cela se fait dans les pays industrialisés ?

RTN : Comment voyez-vous l’évolution du marché de l’emploi dans le secteur TIC ?

JMB : Les opérateurs mobiles viennent d’entrer dans une période conjoncturellement difficile suite aux évolutions qu’a connu le marché ces dernières années, notamment la forte baisse des prix à la consommation ainsi que la couverture bien avancée des zones rurales, proche des seuils de rentabilité acceptables par les investisseurs privés, le tout conduisant à une réduction irrémédiable des ARPU sur la base des offres de services « grand public » actuelles, associée à une pression fiscale historique sur la profession, relativement élevée. Il faut donc plutôt s’attendre à une baisse des effectifs directs et indirects dans le domaine des télécommunications proprement dites, confirmant ainsi la tendance de ces deux dernières années.

Une telle situation risque de perdurer, voire de s’aggraver, tant que les opérateurs ne se décideront pas à significativement enrichir leurs offres de services avec plus de valeur ajoutée. Or, à ce jour, et ce depuis plusieurs années, plus de 95% de leur chiffre d’affaires sont encore retirés du service voix grand public, et les 5% restant sont assimilés au trafic de données, dont plus de la moitié provient des SMS basiques. La part de revenus en matière de services à valeur ajoutée reste donc bien maigre, sauf dans quelques pays très en avance où les données représentent déjà 20 à 25% de l’activité, à savoir le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya ! De même, très peu d’opérateurs disposent d’offres dédiées aux entreprises, avec une logistique de support client dédiée suffisamment adaptée aux besoins des grands professionnels publics et privés. C’est précisément là que résident les principaux relais de croissance pour les opérateurs de télécommunications, et certainement pas dans le seul passage de la 2G à la 3G, ni encore dans les applications ludiques qui ne concernent qu’un faible segment de clientèle.

Du côté des fournisseurs d’accès Internet, la situation apparaît encore bien plus préoccupante, puisque ces derniers n’ont jamais été en mesure de développer leurs activités, notamment du fait de l’effet ciseau assidument exercé par les opérateurs historiques. Il est donc malheureusement difficile d’imaginer des créations d’emplois en nombre significatif dans ce segment de marché, en tout cas à moyen terme... Et pourtant la fourniture d’accès haut débit fixe reste indispensable en Afrique, notamment pour les applications professionnelles des réseaux de données.

En résumé, les véritables gisements d’emplois apparaissent dans le domaine des services à valeur ajoutée, notamment pour les petits et grands professionnels africains, sans que l’on sache précisément aujourd’hui quels seront les acteurs de l’écosystème qui s’en empareront. De tels services à valeur ajoutée seront, pour partie portés par les réseaux mobiles, y compris dans les zones rurales (SMS surtaxés, transactions financières, accès à des bases de données professionnelles, à des systèmes d’informations de marché, à des plateformes e-business en cloud ou d’e-administration), et par ailleurs par des réseaux fixes à haut débit (réseaux privés de données ou VPN, réseaux intranet et extranet et autres réseaux d’interconnexion de sites), autant d’emplois qui n’existent pas encore aujourd’hui, mais pour lesquels émerge une offre potentielle du fait de la très large base de jeunes diplômés prêts à relever l’incontournable défi de l’innovation : du développeur d’applications sous Androïd aux petits prestataires TIC en zones rurales ! Et il y a toute raison d’être optimiste pour l’avenir en découvrant la prévision annoncée dans la dernière étude du GSMA parue en novembre 2012, qui prédit la création d’un total de 15 millions d’emplois par les acteurs de l’écosystème mobile d’ici 2020.

(Source : Agence Ecofin, 11 mai 2013)

Post-Scriptum

Jean-Marie Blanchard est consultant indépendant, expert TIC & développement en Afrique subsaharienne, après avoir occupé le poste de directeur Business Development dans le groupe Alcatel pour l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud. Il dispose de plusieurs années d’expérience sur le terrain acquises lors de missions d’assistance auprès des gouvernements, des régulateurs et des grands opérateurs de télécommunications pour l’élaboration de leur stratégie de développement, notamment au Bénin, au Burundi, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, en RCA, au Mali, au Niger, en RD Congo ou encore au Sénégal. Il a également « coaché » une dizaine de chefs d’entreprise du secteur TIC en Afrique subsaharienne et donné différentes formations en matière de marketing stratégique et de management.

E-mail : jmblanchard@9online.fr

Blog : http://tic-developpement.com

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