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Les non-dits de l’externalisation à Tigo

vendredi 29 mai 2015

Le projet d’externalisation de Tigo a été vendu à l’opinion publique à travers la presse comme une simple opération de transfert de 91 travailleurs d’une société à une autre sans se poser la question sur les véritables raisons de ce transfert et les conséquences qu’il génère.

Parlons des raisons annoncées par la Direction générale de Tigo pour justifier et vendre son projet aux sénégalais : « une volonté de se concentrer sur son cœur de métier qui est la vente de produits et services Télécoms ». Une telle déclaration est tout à fait scandaleuse en ce sens qu’elle remet en cause l’objet et l’essence même de la licence d’exploitation des services de télécommunication accordée à Tigo. Si telle venait à être la raison d’être des opérateurs de télécommunications tout le monde pourrait revendiquer une licence vu qu’il ne s’agit que de vendre des produits et services télécoms. Et dans une telle situation il ne serait pas nécessaire et pertinent de réserver une licence au privilège de 3 opérateurs alors que tout le monde peut répondre à une telle mission. L’infrastructure technique est extrêmement déterminante car tout le monde ne peut pas investir autant pour mettre en place et gérer un réseau. J’en veux pour preuve l’exemple de Kirène qui n’est pas attributaire de licence mais pourtant fournit des produits et services Télécoms. Et à mon avis si on devait aller vers une telle situation, toutes les licences devraient être retirées aux opérateurs pour les vendre aux fournisseurs et permettre à la libre concurrence de s’opérer au bénéfice de tous les sénégalais.

La vraie raison de cette opération de transfert n’est ni plus ni moins qu’une recherche effrénée de profit et non une obligation de survie pour les opérateurs. Le rôle de l’Etat n’est pas de garantir une croissance à deux chiffres aux opérateurs télécoms mais plutôt d’assurer une certaine stabilité sur le plan

économique en créant un environnement légal propice au développement du secteur mais également s’assurer que ce développement économique ne se fasse pas au détriment du tissu social car il sera le premier à répondre de cette détérioration. Qu’on ne focalise pas les discussions sur la diminution du revenu sur la voix, ce serait fausser le débat car le business est ailleurs maintenant notamment sur les données et qu’on ne nous dise pas Whatsapp, Viber et autre sont gratuits car pour accéder à ces services il faut payer un forfait internet et il faut noter que le revenu moyen mensuel par abonné sur la data est de 3 voire 4 fois plus important que celui de la voix. Sans compter les services financiers mobiles comme Orange Money et Tigo Cash qui sont en train de connaitre une forte expansion à cause de la rapidité et de l’accessibilité du service.

Pour en venir aux conséquences, il faut comprendre d’abord le modèle économique que propose cette externalisation. La question à se poser pour commencer est comment Tigo va-t-il gagner de l’argent en transférant l’activité technique notamment ses ingénieurs et techniciens chez Ericsson et comment cette dernière va-t-elle s’en sortir avec le poids de ses nouveaux travailleurs qui viennent s’ajouter à ses épaules si l’environnement reste égal par ailleurs ?

Pour cela regardons ailleurs où cela s’est fait. Prenons le cas du Niger avec l’opérateur « Moov ». Six mois après l’exécution du projet externalisation par « Moov » avec Ericsson succursale Niger les délégués du personnel d’Ericsson Niger ont reçu une lettre de notification de leur Direction les informant qu’il allait opérer des licenciements pour motif économique exclusivement sur le personnel qui avait été transféré 6 mois plutôt. Pour justifier ce licenciement le géant suédois annonce vouloir transférer l’activité de supervision et de gestion des problèmes du réseau au niveau du Centre d’opération réseau qu’il a installé en Côte d’ivoire à cet effet et entend ainsi mutualiser ses ressources à travers le monde afin de réaliser des économies d’échelle. Le même procédé sera enregistré également chez l’autre Opérateur Airtel toujours au Niger mais cette fois ci 12 mois après la signature du contrat d’externalisation au profit de son centre de gestion des réseaux basé en Inde. Dans les deux cas de figure Ericsson Niger a sous-traité à son tour à d’autres entreprises locales la maintenance de premier niveau requérant de faibles qualifications notamment le refile et l’entretien des groupes électrogènes, la maintenance des unités de refroidissement des sites et autres activités supports.

Un autre exemple bien de chez nous, c’est le précèdent projet d’externalisation dénommé ITOC (IT Operations Center) a aussi révélé le manque à gagner pour le Sénégal que génère ce nouveau modèle quand Tigo a décidé de confier la maintenance et la gestion de son infrastructure informatique à une société indienne dénommée TECHNMAINDRA qui à partir du Ghana et de l’Inde intervient sur les plateformes informatiques de Tigo Ce projet a eu lieu en 2012 et même s’il n’a pas encore généré de perte d’emplois pour le personnel informatique qui en avait la charge n’a pas pu profiter aux diplômés en informatique qui aurait dû occuper ces postes en lieu et place de ces ressources basées à l’étranger.

Une autre conséquence de cette externalisation est curieusement l’opposé même d’un des objectifs de ses pourfendeurs notamment la dégradation de la qualité de service. C’est le cas de « Moov » qui symbolise la mauvaise qualité de service un peu partout en Afrique et Airtel cherche à vendre certains de ses actifs en Afrique après avoir cassé des contrats de service gérés notamment au Niger. A Tigo Tchad également, on note de sérieuse dégradation de service depuis que Huawei a pris en charge la maintenance du réseau en Octobre passé. Paradoxal n’est-ce pas ?

Au vu de ces exemples le « business model » apparaît un peu plus clair car Ericsson pour gagner de l’argent dans cette opération, doit mutualiser ses ressources, autrement dit, se séparer des ressources humaines locales au profit d’une main d’œuvre moins chère située dans d’autres pays comme l’Inde, la Chine etc.

Ensuite lorsqu’on comprend comment Ericsson compte gagner de l’argent dans le cadre de ce modèle de services gérés on devine facilement l’intérêt pour Tigo d’opter pour cette solution. En effet grâce aux économies d’échelle que Ericsson va faire en mutualisant ses ressources, les coûts de gestion du réseau vont ainsi diminuer pour l’opérateur qui va voir ainsi son EBITDA (Résultat net d’exploitation) accroitre au fur et à mesure que la compression se fera chez Ericsson. Etant étendu que les charges d’énergie (Electricité, carburant), de location des sites d’antenne, la location des ressources fréquentielles à l’Etat pour ne citer que celles-là resteront identiques quelques soit l’entreprise qui aura la charge de gérer la maintenance de réseau.

En définitive, parmi toutes les parties prenantes, cette opération ne profite qu’à ces deux catégories : le fournisseur et l’opérateur car les autres acteurs sont presque toutes perdantes dans ce modèle. Parmi ces autres acteurs nous nous citerons les écoles de formation (l’ESMT, l’ESP, l’ISI etc.). Ces écoles ne sont- elles pas perdantes si l’opérateur ne fait plus de Télécoms et que le fournisseur licencie et ne recrute plus en local ? Que deviendront les étudiants en cours de formation une fois leurs diplômes en poche ? Que deviendront d’ailleurs ces

écoles elles-mêmes ? Et l’Etat dans tout ça ? Il y gagne ou elle y perd ? A mon avis il y perd doublement car c’est des emplois en moins pour ses fils, sachant que derrière chacune de ses emplois dépendent plusieurs sénégalais. C’est dire combien il est important de préserver son économie nationale dans l’intérêt de l’Etat et de l’ensemble de la société y compris les salariés. Les exemples on en ramasse à la pelle entre l’Afrique, l’Asie et même en France dans les secteurs automobile, industriels, entre autres. Ces différents projets de délocalisation ont fortement accéléré des pertes d’emplois dans les pays du Nord et par conséquent leurs économies en ont souffert et continuent d’en souffrir. Là où cela devient plus critique c’est que nos pays (africains) n’ont pas de économies assez fortes capables de supporter des pertes d’emplois massives, surtout quand il s’agit de secteurs qui en drainent une partie substantielle. Dès lors, il advient de souligner que nos économies en Afrique doivent être protégées au détriment même de la libre concurrence quand cela s’avère nécessaire. Les pays du Nord ne se sont-ils pas développés grâce à des mesures protectionnistes ? Alors pourquoi devrions-nous nous en passer ?

Nous souffrirons, dès lors, d’une concurrence déloyale dans un marché de l’emploi mondialisé pour une activité qui s’opère et génère du revenu sur le territoire sénégalais. Sans replonger dans le débat à propos de l’externalisation qui serait la cause ou le symptôme du déclin de la compétitivité relative de notre économie, prenons l’exemple de l’interprétation d’images radiologiques sous-traitée en Inde. Au niveau individuel, une telle mesure semble plutôt rationnelle. Au plan systémique, la généralisation d’une telle orientation ne remet-elle pas en cause l’apprentissage sur le terrain qui s’effectuerait essentiellement dans le pays prestataire au détriment de nos jeunes diplômés ?

A cela s’ajoute la perte d’expertise technique dans ce domaine de pointe qui comme il convient de le rappeler, génère près de 12% du PIB national pour générer moins de 3000 emplois. Sans oublier que le contrôle sera dorénavant plus complexe pour l’Etat car les fournisseurs ne semblent pas être dans le périmètre d’application du Code des télécommunications. Pour finir n’y aurait- il pas même une perte de souveraineté pour l’Etat de savoir que les données personnelles des sénégalais seraient entre les mains de personnes de moralité inconnue situées à l’étranger ?

La seule recommandation objective à faire c’est d’organiser une concertation sectorielle afin que l’ensemble des parties prenantes qui opèrent dans le secteur des Télécoms puissent trouver des solutions allant dans le sens de l’intérêt global et du bien-être de notre économie.

En définitive ce problème pose également de nouveaux débats, celui de la responsabilité sociale des entreprises et sa prise en compte dans leurs stratégies. Une autre problématique essentielle réside dans l’appropriation par nos nationaux des outils de production, et surtout le développement d’une classe d’investisseurs et non de rentiers.

 

Mamadou Konaté, Ingénieur Télécoms

(Source : Réussir Business, 30 mai 2015)

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