L’essor du courrier électronique fait peser une véritable menace sur le travail de facteur, indiquent des professionnels qui s’inquiètent de l’avenir de leur métier.
La cinquantaine, Mamadou Ndiaye revendique plus de vingt-cinq ans de service au sein de la Société nationale La Poste.
Ndiaye préfère le terme de distributeur à celui de facteur pour évoquer son métier. Il se désole du net ralentissement de l’activité de sa corporation. Mais pour lui, cette situation est due moins à un déficit de facteurs qu’à une diminution “extraordinaire” du volume de courriers.
Vêtu d’un t-shirt et d’un pantalon bleu marine, l’employé de l’agence de la Médina est assis devant une multitude d’enveloppes éparpillées sur une table en verre.
Il les trie méticuleusement et appose sur chacune d’elle une adresse. Un exercice qui le replonge dans des souvenirs lointains, à une époque qualifiée d’âge d’or du facteur.
“Il y a dix ans, le travail était complètement différent. Le volume de distribution était tel que chaque facteur portait au moins deux sacs bien remplis de courrier. Actuellement, ils en ont un presque à moitié vide. Je suis en mesure d’effectuer une comparaison des différentes époques, car je les ai vécues”, raconte celui qui comptabilise deux décennies et demie d’expérience dans la distribution du courrier.
Toutefois, Ndiaye indique qu’en dépit des profonds changements dans son activité professionnelle, induits par l’essor de l’Internet, certains types de courrier comme les dossiers de concours continuent de passer par la poste.
Très dévoué à son métier, cet homme qui connaît parfaitement chaque détail du travail de facteur exclut toute éventuelle disparition.
À la poste de la Médina, sa journée, quasi routinière, débute le matin. Et Ndiaye s’en acquitte en vrai amoureux de son métier.
“Le matin, les courriers nous parviennent dans de grands sacs. On les trie par catégorie. Il y a les lettres recommandées, les lettres simples et les boites postales. Après, on effectue ce qu’on appelle le repiquage, qui est l’action d’identifier la destination de chaque courrier suivant la délimitation des zones”, explique-t-il.
Facteur dans une agence de la banlieue, B.D a, lui aussi, accepté de partager son expérience sous couvert d’anonymat.
À cheval entre son agence de rattachement et les zones qu’il sillonne à pied, il s’offusque de la précarité dans laquelle lui et ses pairs exercent aujourd’hui leur travail.
“Hormis le numérique, c’est la misère qui en finira avec ce métier”, prédit-il.
Le fait est que la distribution du courrier est compliquée par l’absence d’adressage dans certains quartiers de Dakar et des autres villes du pays. Une situation que compliquent davantage les faibles moyens de locomotion.
S’y ajoute que la poste est férocement concurrencée par d’autres structures offrant les mêmes services.
Un métier fortement menacé
Pour le receveur général de l’agence de la poste de la Médina, Ibrahima Ndiaye, la situation est si alarmante que le métier de facteur est aujourd’hui menacé de disparition, si aucune action n’est entreprise.
“Le régulateur, c’est l’ARTP [Agence de régulation des télécommunications et des postes]. Il y a une part de marché qui devrait être réservé à la poste, mais, actuellement, avec ce chamboulement, on ne maîtrise plus rien. Si rien n’est fait, le métier de facteur risque effectivement de disparaitre”, clame-t-il
Il estime qu’”il faut beaucoup travailler pour pouvoir maintenir une certaine clientèle”.
Celle-ci est composée essentiellement d’huissiers de justice, d’entreprises, d’associations, de mosquées et d’une clientèle dite facultative, à savoir des individus ayant des choses à envoyer au niveau local et international.
“Le principal problème de La Poste, analyse Ibrahima Ndiaye, est que nous avons tardé à nous adapter, parce que nous avons laissé le temps filer pour ensuite tenter de le rattraper.”
Il juge que “le gap” à combler “est très grand, malgré les efforts consentis pour être en conformité avec les exigences du secteur et de ceux de l’Union postale universelle”, l’institution des Nations unies en charge des services postaux du monde.
“Le métier de facteur a beaucoup perdu de son essence”, estime le receveur général, qui incite les agents à se reconvertir, à s’enrichir de nouvelles connaissances ou à exercer d’autres activités en parallèle, pour qu’ils ne soient pas surpris, si jamais ce métier venait à être supprimé au sein de la poste.
“Impossible de se passer complètement des facteurs”
De l’avis d’Aissatou Bâ, une jeune femme qui recourt régulièrement aux services postaux, Internet ne pourra pas entrainer une disparition définitive du métier de facteur.
“Au-delà du fait que l’on peut recevoir des courriers par mail, l’on aura toujours besoin d’une copie originale de ces derniers, et cela fera que le facteur exercera toujours son travail”, prédit-elle.
Elle considère qu’Internet “vient plutôt faciliter la tâche pour les urgences, mais les copies originales seront toujours apportées par les facteurs. À moins que ces dernières ne soient plus exigées par l’administration et autres”.
Une chose reste certaine : beaucoup d’administrations et de services disposent de leurs propres coursiers.
Hawa Bâ, une cliente de la poste rencontrée par l’APS à l’agence de Thiaroye, était venue déposer un colis à destination d’Agnam, dans la région de Matam (nord).
Elle dit avoir choisi de venir faire le dépôt elle-même pour éviter de payer des frais, affirmant qu’il est “inimaginable” que le métier de facteur, maillon essentiel de la distribution du courrier, disparaisse un jour, malgré l’essor de plus en plus fulgurant du numérique.
“Ils [les facteurs] ont juste besoin d’appui et de s’adapter à l’outil digital pour la redynamisation de leur métier”, suggère-t-elle.
(Source : APS, 5 juin 2024)
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