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« En matière de cybercriminalité, il n’y a pas de superpuissances et il n’y a pas de petits pays »

samedi 31 août 2013

Le secrétaire général pense que pour éviter une cyberguerre entre les Etats, il faudrait une discussion franche entre les Etats, la société civile et le secteur privé. Tous sur un même pied d’égalité. Entretien.

Les attaques cybernétiques sont devenues des armes contre certains Etats. Les Etats-Unis, par exemple, accusent très souvent la Chine ou la Russie de cyberattaques. Comment éviter à la longue une cyberguerre entre les Etats ?

Hamadoun Touré : C’est une question extrêmement importante qui est à l’ordre du jour, à laquelle je me suis attelé depuis mon élection au poste de secrétaire général de l’UIT. Depuis 2007, j’ai mis en place l’agenda de la sécurité globale. J’ai mis en place un expert de haut niveau pour pouvoir analyser ces questions. Je me suis rendu compte que les négociations entre les Etats membres sont très difficiles. La question est très sensible. Il y a des questions idéologiques, de liberté d’expression et de sécurité nationale qui sont liées à cela. C’est donc vraiment très difficile. Cette sécurité nationale est liée à tout ce qui se passe du point de vue terrorisme dans le cyberespace, où il n’y a plus de frontières. Il faut absolument discuter de cette question. Déjà en 2007, j’étais très provocateur en disant qu’il y avait un risque de cyberguerre. Et la meilleure manière de gagner une guerre, c’est de l’éviter. Nous travaillons avec les Etats membres pour cela. Les propositions que nous faisons se situent sur cinq aspects : premièrement, la mise en place d’une réglementation dans tous les pays pour criminaliser le crime. Deuxièmement, mettre en place l’environnement technique pour pouvoir observer et arrêter les cybercrimes. Bien qu’il y ait certains gouvernements qui préparent des virus, ce ne sont pas tous les Etats qui le font. Donc, il faut limiter cela. Aujourd’hui, un individu peut cloner tout un Etat et initier une attaque qui pourrait être contre-attaquée, et donc faire l’objet d’une guerre. D’où l’importance de la mise en place des CIRT et des CERT. Troisièmement, il est important de mettre l’accent sur la formation. Une formation sur les plans technique et éthique, car on sait bien que quand on surveille une activité criminelle, on a accès à des informations qui ne sont pas de nature criminelle. C’est très important de savoir comment préserver la confidentialité de ces informations.

Une collaboration franche entre les Etats est aussi nécessaire…

HT : C’est le quatrième point. Il est important de nouer une collaboration entre les Etats afin que nous puissions mettre en place une stratégie nécessaire ou un accord global où les pays s’engageront à mettre à la disposition de leurs citoyens cet accès, à les protéger et ne pas attaquer un autre pays. Il faut traiter le cyberespace de la même façon que la vie « normale ». Parce que ce qui est condamnable dans la vie normale est aussi condamnable dans le cyberespace. Mais l’absence de frontières dans le cyberespace rend la chose plus compliquée. C’est uniquement sur la base d’une coopération internationale que l’on peut y arriver. Et dans ce domaine, il n’y a pas de superpuissances et il n’y a pas de petits pays. C’est une arme basée sur le cerveau humain. Et l’on peut retrouver des génies dans tous les pays du monde, quel que soit le niveau de développement. D’ailleurs, les virus les plus sophistiqués ont été fabriqués dans des pays en développement, et souvent avec des laptops de moins de 1000 dollars. Donc, il ne faut négliger personne. Cela implique que l’on se réunisse autour d’une table au même pied d’égalité.

Le cinquième point, qui est tout aussi important : il faudrait appeler tous les Etats à une même table. Et si l’on devait négocier un traité de ce genre-là, on serait loin du scénario actuel entre les chefs d’Etat seulement ; il faudrait y inclure la société civile et les sociétés privées. Sommes-nous mentalement prêts pour une telle négociation dans un volet multi-acteurs ? C’est la grande question qui se pose aujourd’hui.

D’après les résolutions du Forum mondial des politiques de télécommunications (WTPF 2013, en mai dernier à Genève) au sujet de la gouvernance de l’internet, il est noté qu’il est « nécessaire de renforcer la coopération afin de permettre aux gouvernements de s’acquitter, sur un pied d’égalité, de leurs rôles et responsabilités en ce qui concerne les questions de politiques publiques internationales concernant l’internet, mais pas les questions techniques et opérationnelles courantes qui n’ont pas d’incidence sur les questions de politiques publiques internationales ». Pourquoi cette distinction ?

HT : C’est tout simplement parce que l’on veut s’assurer que le gouvernement joue un rôle de leader dans la mise en place d’une politique, et non un rôle d’opérateur. Que le gouvernement puisse jouer un rôle d’arbitre et non pas de joueur. Voyez-vous le conflit d’intérêts qu’il y aurait si le gouvernement était un opérateur et en même temps un arbitre entre les opérateurs. Il n’y aurait pas de justice. Et c’est ce que l’on veut éviter. C’était la même question concernant la téléphonie fixe. Nous essayons de désengager les gouvernements dans tout ce qui est opérationnel afin de pouvoir faciliter la compétition sur le marché. Cette question devient plus pointue quand il s’agit de l’internet, car il y a de très grandes sensibilités. Certains gouvernements répressifs utilisent leur rôle opérationnel pour limiter les libertés d’expression ou autres. Tous les pays ne le font pas. Mais à cause de cela la société civile est très attentive, et c’est ce que l’on a réitéré lors du forum.

Au terme du WTPF 2013, les participants ont relevé que l’établissement de points d’accès Internet aux niveaux local, national, sous-régional et régional est une priorité si l’on veut régler les problèmes de connectivité, améliorer la qualité de service et réduire les coûts d’interconnexion. Quelle est l’importance de ces points de connexion Internet en Afrique ?

HT : Vous savez bien que l’accès universel aux technologies de l’information et de la communication est une nécessité aujourd’hui dans tous les pays du monde. Nous savons que grâce aux technologies de l’information et de la communication, nous pouvons aujourd’hui atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement dans tous les secteurs. Que ce soit la santé, l’éducation, le gouvernement en ligne, le commerce… Tous les aspects sociaux et économiques de la vie seront traités par les questions de technologie de l’information et de la communication. Donc, il est important que cet accès soit universel, et que cet accès soit abordable et sécurisé. Pendant ce forum, nous avons abordé ces questions. Il est très clair que la mise en place des ISP éviterait de transiter en dehors du pays quand vous envoyez des messages à l’intérieur d’un même pays. Donc, cela permettra non seulement d’augmenter la qualité des services, mais aussi de diminuer les coûts. Et rendre cela abordable, c’est l’une des missions que l’Union internationale des télécommunications s’est fixée.

En 2003, les Etats avaient indiqué la nécessité d’une évaluation cohérente à la fois sur le plan local et sur le plan international des principes de la Déclaration de Genève. Pensez-vous que les Etats africains évaluent le degré d’implémentation de ces principes afin d’avancer ?

HT : Le SMSI a été l’un des meilleurs catalyseurs du développement des TIC. En 2003 et en 2005, quand nous avons organisé ces sommets, nous n’étions pas sûrs d’arriver à ce niveau de développement. Ces sommets ont été une impulsion salutaire. Le SMSI a été organisé dans des conditions très spéciales. Parce que, à l’époque, l’UIT avait décidé d’ouvrir ce sommet à toutes les couches de la société. C’était la première fois qu’on organisait un sommet multi-acteurs. C’était d’ailleurs pourquoi il n’y avait pas de manifestations à l’extérieur des salles, parce que tout le monde pouvait venir s’exprimer à l’intérieur avec les chefs d’Etat, la société civile et le secteur privé. C’était un exemple très fort lancé par l’UIT. Ce processus doit continuer, et il est important de définir le rôle complémentaire de tous ces acteurs afin que nous puissions avancer.

Le rôle du gouvernement s’articule autour de la mise en place d’un environnement juridique et réglementaire qui permettrait au secteur privé d’investir. Il devrait aussi investir pour la mise en place des applications et services gouvernementaux qui pourraient servir à faire démarrer le secteur privé. La société civile viendra donner des solutions pour les zones éloignées et amener les besoins des consommateurs sur la table. Ces rôles sont complémentaires, et le forum a encore une fois mis l’accent sur cela. Evidemment, quand nous abordons les questions de l’accès à Internet, il y a toujours une suspicion entre la société civile et les gouvernements. Pourquoi cette suspicion ? Parce que quand il s’agit de questions liées à la sécurité d’Internet, nous savons que si l’on met des outils de sécurité, ces outils peuvent non seulement être utilisés par les criminels, mais aussi par les gouvernements contre leur société civile. Ce sont des questions que nous n’avons pas hésité à mettre sur la table et à débattre très franchement. Et je crois que nous avons très bien avancé sur ce dossier.

Dans la Déclaration de Genève de 2003, sur le SMSI il est écrit : « Nous décidons d’aider les pays en développement, les pays les moins avancés et les pays à économie en transition, en utilisant toutes les sources de financement, en leur fournissant une assistance financière et technique et en créant des conditions propices à des transferts de technologie compatibles avec les objectifs de la présente Déclaration et du Plan d’action. » Dix ans après, quel bilan faites-vous de cette assistance financière et technique aux pays en développement ?

HT : L’assistance technique a été apportée. Surtout l’assistance du point de vue réglementaire. On voit très bien que c’est un domaine profitable quand on y investit. Les TIC peuvent rendre les acteurs du secteur privé assez riches. En mettant une politique attractive, ils peuvent investir. A la suite du SMSI, nous avons vu la création du Fonds de solidarité numérique, mais qui, très sincèrement n’a pas marché. On peut en étudier les causes. Mais a-t-on besoin d’un fonds de solidarité numérique maintenant ? Peut-être pas, parce qu’il y a suffisamment d’argent disponible. Il suffit d’attirer le secteur privé pour qu’il puisse mettre sur pied les investissements nécessaires. Prenons un exemple. En 2007, j’ai organisé à Kigali le sommet « Connecter l’Afrique ». Lors de ce sommet, nous avons demandé au secteur privé combien il comptait investir en Afrique cette année-là, et non pas combien il allait donner à l’Afrique. Nous avons voulu changer l’approche du financement des TIC.

Pendant 50 ans, l’Afrique avait orienté sa politique de développement sur la charité, l’assistance et l’aide. Cela n’a pas marché. Si vous essayez quelque chose pendant 50 ans et que cela ne marche pas, vous changez de méthode. Nous avons convenu que la meilleure méthode pour promouvoir les TIC, c’était d’attirer l’investissement privé. A Kigali, les chefs d’Etat ont clairement demandé aux investisseurs du secteur privé de venir investir dans leur pays ; ils feraient des profits, ce ne serait pas un crime. A la suite de cela, ils créeraient des emplois, des nouvelles applications et donneraient un accès aux TIC à tout le monde. Et cela s’est passé dans plusieurs pays. Sur cinq ans, le secteur privé s’est engagé à investir jusqu’à 55 milliards de dollars sur le continent africain. Nous ferons une évaluation de cette promesse au sommet « Transformer l’Afrique » qui se tiendra à Kigali cette année au mois de novembre 2013. Je peux déjà vous garantir qu’il y a eu plus de 70 milliards de dollars d’investissements dans ce domaine. C’est dire si on a dépassé les prévisions. Cela montre combien il est important de pouvoir mettre une politique en place. C’est également ainsi que nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés pour le développement de la téléphonie mobile. La révolution du mobile a été un vrai succès en Afrique. Il s’agit à présent de jeter les bases d’une nouvelle révolution qui est celle du développement du haut débit, du broadband comme on l’appelle en anglais. Il permettra un accès universel à l’internet, la transmission de la voix et de la vidéo.

Qu’adviendra-t-il après la société de l’information ?

HT : A ce jour, nous sommes à un niveau de convergence tel que nous pouvons dire que nous sommes réellement dans la société de l’information grâce aux deux phases du SMSI. Notre objectif final, c’est la société de la connaissance. Le Forum mondial sur les politiques de télécommunications, qui s’est achevé en mai dernier, était un pas important. Les discussions étaient très franches. L’objectif étant de discuter dans une atmosphère sans pressions. Il n’y avait pas de traité à négocier, les participants étaient beaucoup plus libres et beaucoup plus directs dans les discussions. Et cela a porté ses fruits.

Les Etats et les opérateurs privés en Afrique ne s’entendent pas toujours au sujet du développement et du déploiement de la fibre optique. Quelles solutions préconisez-vous ?

HT : Il n’y a pas de solutions universelles. Quand vous regardez dans les 27 pays de l’Europe, il n’y a pas de réglementation qui soit unique. Il y a simplement des principes qui sont communs. Il n’y a pas deux pays dans le monde qui ont des solutions identiques. Ce que nous faisons à l’UIT, c’est échanger suffisamment d’informations sur ces questions pour que les pays adaptent leurs réglementations sur les problèmes locaux en tenant compte de toutes les caractéristiques du pays. Nous avons des pays où l’engagement se fait par un consortium de sociétés privées, dans d’autres pays chaque opérateur fait son investissement, ce qui n’est pas une bonne solution. Au cours des derniers symposiums des régulateurs, nous avons vu des solutions ayant trait à la mise en commun et à l’exploitation commune des ressources. C’est une solution assez attractive aujourd’hui. C’est-à-dire par exemple que nous voulons éviter que les opérateurs aient chacun leurs tours pour la téléphonie mobile, mais qu’ils puissent utiliser leurs antennes sur les mêmes tours. Du point de vue écologique, c’est mieux. Et c’est bon pour le consommateur. Cette même politique pourrait se jouer pour la fibre optique. Et l’utilisation en commun serait une bonne solution.

Quel message principal adressez-vous aujourd’hui aux chefs d’Etat et aux gouvernements africains pour qu’ils permettent aux TIC de transformer la vie des populations ?

HT : Merci de me donner cette occasion. Aujourd’hui, nous avons gagné la révolution du mobile. Notre grand objectif prochain, c’est le large bande. J’aimerais que chaque pays ait une politique nationale du large bande. Afin de pouvoir atteindre les grands objectifs, il faut d’abord avoir de grands rêves, les fixer et mettre en place une politique pour pouvoir les atteindre. J’aimerais que chaque pays ait une politique à l’horizon 2020 d’accès au haut débit. Et que nous puissions travailler ensemble pour atteindre cet objectif-là. C’est très simple, mais cela aura un impact considérable et très positif sur les Etats.

Propos recueillis par Beaugas-Orain Djoyum, à Genève, pour le magazine Réseau Télécom n° 63

(Source : Agence Ecofin, 31 août 2013)

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