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En Afrique, Israël appuie sa diplomatie sur les logiciels espions

lundi 12 septembre 2022

Enquête · Le Ghana a acheté dans des conditions douteuses le logiciel espion Pegasus au groupe israélien NS0. Cette acquisition par un pays souvent considéré comme un modèle démocratique en Afrique illustre le lien étroit entre l’industrie israélienne des cyberarmes et de la surveillance, et la quête de normalisation diplomatique sur le continent, du Togo au Maroc.

En mai 2021, Oliver Barker-Vormawor, l’un des fondateurs de #FixtheCountry, mouvement ghanéen qui exige du gouvernement du président Nana Akufo-Addo responsabilité, bonne gouvernance et amélioration des conditions de vie des Ghanéens, affirme [1] que le ministère de la sécurité nationale du pays surveille illégalement le téléphone d’un de ses membres.

Selon Oliver Barker-Vormawor, les appels vers cet appareil ont commencé à être détournés vers un numéro inconnu après une rencontre entre les dirigeants de #FixtheCountry et des responsables de la sécurité nationale, en mai 2021. Les représentants du gouvernement ghanéen ont qualifié les allégations de Barker-Vormawor de « fausses et sans fondement » et ont minimisé les allégations de surveillance illégale.

Pourtant, à peine six mois plus tard, le groupe de journalistes d’investigation Forbidden Stories [2] révèle que des téléphones de citoyens ghanéens sont effectivement surveillés illégalement. Le Ghana est l’un des vingt-six pays où le système de cybersurveillance Pegasus [3], développé par la société israélienne NSO Group, a été utilisé pour espionner les communications privées de particuliers.

OBJECTIF : LES ÉLECTIONS DE 2016 ?

Pegasus peut déchiffrer les communications cryptées de n’importe quel smartphone, le transformant ainsi en un outil d’espionnage. Ce logiciel ne peut être vendu qu’avec l’autorisation du gouvernement israélien, et uniquement aux gouvernements et à leurs agences. Les cibles de Pegasus au Ghana ont été informées par Apple que leurs appareils étaient des cibles potentielles d’attaques par des personnes agissant pour le compte de l’État. Cette révélation a choqué au Ghana, souvent présenté comme une démocratie modèle en Afrique. La stabilité politique de ce pays d’Afrique de l’Ouest et sa gouvernance démocratique contrastent fortement avec de nombreuses autres nations de cette région caractérisées par l’autoritarisme et les luttes de pouvoir violentes.

En décembre 2015, Infralocks Development Limited (IDL) signe un contrat de 5,5 millions de dollars avec le groupe NSO pour acheter Pegasus. IDL devait ensuite revendre le logiciel à l’autorité de régulation des télécommunications du Ghana, la National Communications Authority (NCA), pour 8 millions de dollars. Ni le NSO Group, ni les fonctionnaires du ministère israélien de la Défense – qui accorde les licences d’exportation pour Pegasus – n’ont vérifié si IDL était un revendeur reconnu de Pegasus.

Malgré ces graves manquements, le personnel de NSO est arrivé au Ghana en juin 2016 – six mois seulement après la signature des contrats – pour installer Pegasus et former les fonctionnaires locaux à l’utilisation de l’équipement. Bien que la NCA ait été répertoriée comme l’acheteur, le système a été installé dans l’appartement du conseiller à la sécurité nationale du Ghana. En réalité, c’est le ministère de la Sécurité nationale qui souhaitait disposer de la technologie d’espionnage. Cela a donné lieu à des spéculations selon lesquelles le gouvernement, alors dirigé par le Congrès national démocratique (NDC), prévoyait d’utiliser Pegasus pour espionner les personnalités de l’opposition avant les élections de décembre 2016.

C’est en raison de la corruption des fonctionnaires impliqués dans la transaction que l’achat secret de Pegasus a été rendu public. NSO a affirmé n’avoir reçu que la moitié de l’argent qui lui était dû, et a supprimé le logiciel qui aurait rendu l’équipement opérationnel. Pendant des années, tant NSO que les autorités ghanéennes ont maintenu cette version des faits.

BOÎTE DE PANDORE

En mai 2020, la Haute Cour d’Accra a jugé que l’achat de Pegasus était illégal. Deux fonctionnaires de la NCA et le conseiller à la sécurité nationale de l’époque ont été condamnés pour corruption. C’est dans l’enquête de Forbidden Stories que le Ghana a été cité la première fois comme utilisateur de Pegasus. « Cela a effectivement ouvert la boîte de Pandore sur la question de savoir si le Ghana possédait le logiciel ou non », explique Emmanuel Dogbevi, rédacteur en chef de Ghana Business News qui a suivi de près cette affaire. Découvrir que Pegasus avait été utilisé au Ghana lui a fait froid dans le dos, car les autorités n’ont cessé d’assurer que le logiciel espion n’était pas opérationnel.

Toutes les personnes impliquées dans l’enquête criminelle ont refusé de répondre aux médias. Les questions envoyées au NDC et au ministère de la Sécurité nationale restent sans réponse. Ce silence des dirigeants politiques ghanéens s’explique par le fait que le NDC – qui était le parti au pouvoir lorsque Pegasus a été acheté illégalement, en 2016 – et l’actuel parti au pouvoir, le New Patriotic Party (NPP), aujourd’hui accusé d’utiliser le logiciel espion, ont tous deux intérêt à étouffer l’affaire. Ni l’un ni l’autre ne veulent remuer les choses.

Les autorités israéliennes, elles aussi, restent silencieuses. « En Israël, le silence sur Pegasus est presque total, et il vient du gouvernement et des ministères de la Défense et des Affaires étrangères », constate Eitay Mack. Cet avocat représente cinquante universitaires et militants israéliens – dont un ancien président du Parlement – qui ont demandé que le procureur général d’Israël enquête sur la vente de Pegasus au Ghana et sur la complicité des ministères israéliens de la Défense et des Affaires étrangères.

UNE MONNAIE D’ÉCHANGE AU SEIN DE L’UNION AFRICAINE ?

La vente douteuse du logiciel espion Pegasus au Ghana n’est pas un cas isolé. L’industrie israélienne des cyberarmes et de la surveillance est étroitement liée à la diplomatie de Tel-Aviv et à son programme de normalisation à l’étranger. Les logiciels espions sont une monnaie diplomatique précieuse pour Israël, qui cherche à normaliser ses relations et à lutter contre la campagne mondiale de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre son occupation de la Palestine, qui est régulièrement comparée à la politique d’apartheid en Afrique du Sud [4].

Les logiciels espions pourraient également avoir joué un rôle dans l’obtention par Israël du statut d’observateur auprès de l’Union africaine (UA), une position qu’il convoitait depuis près de deux décennies. En juillet 2021, dans une démarche controversée qui a divisé l’UA, Israël a atteint son objectif et a reçu l’accréditation du président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat.

Des sources présentes au sommet des chefs d’État de l’UA qui s’est tenu dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, en février 2022 m’ont confirmé que des diplomates israéliens avaient offert une assistance militaire, de surveillance et de renseignement à certains dirigeants africains en échange de leur soutien à l’accréditation d’Israël.

Le Ghana, sous la présidence actuelle de Nana Akufo-Addo, a été l’un des plus fervents défenseurs d’Israël [5] au sein de l’UA et a exercé une forte pression pour que le pays obtienne le statut d’observateur. Israël a-t-il utilisé des logiciels espions comme monnaie d’échange avec le Ghana dans son lobbying pour obtenir ce statut ? Les journalistes et les militants de Côte d’Ivoire, du Rwanda, du Maroc et du Togo, ainsi que du Kenya, de Guinée équatoriale, d’Égypte, du Cameroun, d’Ouganda et d’Éthiopie peuvent se poser la même question. Des logiciels espions israéliens ont été utilisés dans ces différents pays. Ce sont également des pays qui ont soutenu la candidature d’Israël au sein de l’UA.

DU MAROC AU TOGO, RENFORCER L’AUTORITARISME

Résultat de la quête de légitimité d’Israël en Afrique : ses puissants outils d’espionnage – développés à partir de son occupation de la Palestine et testés sur la population palestinienne – se sont retrouvés entre les mains d’une nouvelle génération de dirigeants autoritaires en Afrique. Pour ces derniers, ces technologies sont idéales. Elles sont relativement bon marché, faciles à mettre en œuvre, et peuvent être déployées avec peu de conséquences pour leurs régimes.

L’absence de responsabilité, de transparence et de réglementation sur la vente et la fourniture d’outils de surveillance offre une protection supplémentaire à ces dirigeants répressifs, exacerbant l’autoritarisme en Afrique - souvent avec des conséquences dangereuses pour les journalistes, les militants des droits de l’homme et les critiques du gouvernement.

Le journaliste togolais Komlanvi Ketohou a fui son pays l’année dernière après avoir été arrêté et détenu. Son smartphone, ainsi que ceux de plusieurs autres journalistes, avaient été placé sous surveillance par les autorités togolaises. Le journal de Ketohu rendait compte des manifestations nationales d’opposition au pouvoir du président Faure Gnassingbé. Le journaliste est également membre de la Ligue togolaise des droits de l’homme.

Le Maroc est l’un des plus gros clients de NSO. Il a utilisé Pegasus pour cibler pas moins de 10 000 numéros de téléphone, dont ceux de la militante sahraouie des droits de l’homme Aminatou Haidar et du journaliste marocain Omar Radi [6]. Ce journaliste d’investigation indépendant, qui couvre les questions de droits de l’homme, les mouvements sociaux et les droits fonciers au Maroc, a été surveillé à trois reprises.

DES INTERMÉDIAIRES ET DES CANAUX SECONDAIRES

De leur côté, les autorités rwandaises ont utilisé le logiciel espion Pegasus pour cibler potentiellement plus de 3 500 militants, journalistes et hommes politiques, dont Carine Kanimba, la fille du célèbre défenseur des droits de l’homme Paul Rusesabagina. Rusesabagina, qui a sauvé plus de 1 200 vies pendant le génocide des Tutsi en 1994, est actuellement emprisonné au Rwanda - il est accusé de « terrorisme ».

Le recours à un revendeur douteux au Ghana illustre ce que l’auteur de l’ouvrage Israël in Africa (Zed Books, 2020), Yotam Gidron, appelle l’approche « par intermédiaires » d’Israël en matière de diplomatie en Afrique. Pendant des décennies, Tel-Aviv a officiellement très peu investi dans sa diplomatie sur le continent. Au lieu de cela, l’État israélien s’est appuyé sur divers hommes d’affaires et intermédiaires privés qui utilisaient leur accès aux hommes d’influence locaux pour servir les intérêts de la politique étrangère d’Israël. Une forme de « diplomatie parallèle » totalement dépourvue de transparence [7].

Le ministère israélien de la Défense approuve les ventes de Pegasus et joue un rôle crucial dans sa diffusion et son utilisation. Le gouvernement israélien reconnaît les avantages diplomatiques de l’exportation de logiciels espions et refuse d’en interdire la vente malgré leur histoire sanglante et bien documentée. En fait, le gouvernement israélien a délibérément maintenu l’opacité et le secret autour du processus d’octroi de licences d’exportation d’armes afin d’encourager les exportations de logiciels espions, explique Yotam Gidron.

C’est pourquoi certains Ghanéens sont catégoriques : le gouvernement israélien doit assumer la responsabilité de sa complicité. Emmanuel Dogbevi cite une enquête israélienne en cours sur l’utilisation de logiciels espions contre des citoyens israéliens comme « une preuve convaincante que le gouvernement israélien lui-même doit assumer une certaine responsabilité ».

DÉMOCRATIE MENACÉE

« La responsabilité incombe au gouvernement israélien en tant que concepteur et régulateur de politiques. Le gouvernement israélien est donc coupable », ajoute Rudolf Amenga-Etego, militant ghanéen des droits de l’homme et ancien parlementaire. Un groupe de la société civile ghanéenne se bat également contre la surveillance illégale des citoyens. Bernard Mornah, membre du mouvement citoyen Arise Ghana, qui a récemment appelé à des manifestations à Accra, assure que son groupe demandera une enquête parlementaire sur l’utilisation de Pegasus au Ghana. Selon Oliver Barker-Vormawor, #FixtheCountry a l’intention de déposer une demande de droit à l’information concernant l’utilisation de Pegasus par les gouvernements ghanéens successifs.

Angela Quintal, responsable du programme Afrique au Comité de protection des journalistes (CPJ), salue ces initiatives, ainsi que les militants israéliens qui demandent une enquête sur la vente de Pegasus au Ghana. « Les efforts visant à faire la lumière sur cette industrie opaque sont les bienvenus », estime-t-elle.

Les logiciels espions sont au cœur des ambitions politiques de Tel-Aviv en Afrique ; ils ont permis à Israël de se faire accepter sur un continent où il était autrefois marginalisé sur le plan diplomatique. Alors que ce pays exporte son expertise en matière de surveillance en échange de gains diplomatiques en Afrique, il n’est plus possible de rester les bras croisés et de le regarder renforcer les dictatures et affaiblir la démocratie en Afrique.

Suraya Dadoo [8]

(Source : Afrique XXI, 12 septembre 2022) _

[1] https://www.ghanaweb.com/GhanaHomeP...

[2] https://forbiddenstories.org/pegasu...

[3] https://orientxxi.info/magazine/isr...

[4] https://orientxxi.info/magazine/arm...

[5] https://africasacountry.com/2018/05...

[6] https://orientxxi.info/magazine/hal...

[7] https://afriquexxi.info/En-Afrique-...

[8] Journaliste indépendante basée à Johannesburg

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