Après la LONASE, dépeçage programmé de la SONATEL
vendredi 18 juin 2004
Pour analyser les effets néfastes du tout-marché, après l’industrie du jeu, le secteur des télécommunications est un cas d’école. Et c’est le modèle que les libéraux aujourd’hui au pouvoir veulent imposer Sénégal.
La notion de péréquation est au cœur de la problématique des services publics en réseau : pour que le plus grand nombre y ait accès, le tarif d’une prestation doit être déconnecté de son prix de revient, les services les plus rentables finançant ceux qui le sont moins, ou pas du tout. À chaque fois donc, les décisions à prendre sont de nature politique : qui doit financer l’accès aux régions les plus excentrées ? comment permettre à tous les usagers d’être reliés, etc. ? Il est impératif, dans cette logique, d’éviter " l’écrémage " des activités les plus rentables au profit exclusif du secteur privé ... Étranger.
Les tarifs de la Sonatel résultent d’une double péréquation : l’une, géographique, permettant des facturations identiques sur tout le territoire ; l’autre, sociale, favorisant un accès massif au réseau grâce à de faibles tarifs de raccordement et d’abonnement. Ainsi, au début des années 2000, la taxe de raccordement et l’abonnement étaient facturés 2,4 fois au-dessous de leur prix de revient, et les communications locales de 23 %, alors que les communications " longue distance " (nationales et internationales) étaient sur tarifées de 58 %. L’abonnement et les communications locales représentant près de 90 % de la facture moyenne d’un particulier, ce dispositif avait entraîné une démocratisation spectaculaire de l’usage du téléphone.
Que l’on aille à Ouagadougou, Abidjan ou Lomé, les tarifs appliqués au Sénégal restent les plus compétitifs. Il faut insister sur l’importance décisive de ce premier pas, que la plupart des observateurs avaient, à l’époque, sous-estimé. La sortie des nouveaux services du monopole va, en effet, ouvrir la voie à un dépérissement progressif du système de péréquation national. Mais, surtout, à partir de ce moment, il est admis que les télécommunications sont un marché comme un autre, que la concurrence doit y être la règle, même si on peut discuter du rythme de son introduction.
Ainsi, en quelques années à peine, le secteur des télécommunications est totalement transformé. L’absence de résistance à un tel bouleversement peut paraître surprenante. Force idéologique du libéralisme qui connaissait alors sa gloire actuellement au Sénégal ? Poids des lobbies des grands groupes intéressés par un nouveau marché qui faisait à l’époque, et jusqu’à présent, figure d’eldorado ? Tous ces facteurs se sont conjugués pour marginaliser les oppositions.
L’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications est emblématique de la logique de dépouillement d’une Nation, confirmée et soutenue par le gouvernement actuel. La mise en place d’une réglementation asymétrique et inégalitaire entre les différents acteurs vise explicitement à favoriser les nouveaux entrants sur le marché. Dérogatoire au droit commun, elle est la preuve du caractère largement artificiel de l’introduction de la concurrence, ce que confirme l’obligation imposée aux opérateurs historiques d’ouvrir leur réseau à leurs concurrents. Ces derniers se trouvent ainsi dispensés de construire, pour l’essentiel, leurs propres infrastructures. Les péréquations sont remises en cause au nom du principe que " les tarifs doivent tendre vers les coûts ". Enfin, l’ensemble de ce dispositif est mis sous haute surveillance par des autorités indépendantes : Autorité de réglementation des télécommunications (ART).
Au-delà des aléas boursiers, c’est la logique même de la libéralisation qu’il faut interroger. Tant pour la construction des réseaux qu’en matière de recherche et développement, le développement des télécommunications demande de gros investissements dont il est vain d’espérer une rentabilité rapide. Celle-ci est d’autant moins assurée que domine la logique du capitalisme actionnarial de " création de valeur pour l’actionnaire " qui empêche opérateurs et équipementiers de mener de concert une stratégie de développement sur le long terme. Le simple bon sens économique, conjugué aux nécessités de service public, devrait imposer, une nouvelle régulation du secteur en rupture avec le dogme de la concurrence. Ce n’est hélas pas la voie choisie par le gouvernement qui est en train d’imposer aux autres services publics les solutions qui ont fait faillite dans les télécommunications.
Mounirou FALL
(Source : Sud Quotidien 18 juin 2004)