Antonio Pedro, le directeur du Bureau sous-régional pour l’Afrique centrale de la Commission Economique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) explique dans cet entretien avec TIC Mag pourquoi les pays d’Afrique centrale doivent réduire les coûts de l’itinérance mobile (roaming). Il encourage par ailleurs les régulateurs des télécommunications à imposer aux compagnies de téléphonie un mémorandum d’entente tarifaire sous régional pour la réduction des tarifs de roaming.
TIC Mag : De prime abord, pour que notre audience comprenne bien, qu’est-ce que l’itinérance mobile ?
Antonio Pedro : En téléphonie mobile, il existe trois niveaux d’itinérance : l’itinérance nationale, l’itinérance régionale et l’itinérance internationale. L’itinérance nationale est la faculté pour un abonné d’une société de téléphonie mobile A de pouvoir utiliser son numéro de téléphone pour appeler ou envoyer des messages à des personnes disposant de numéros attribués par une société de téléphonie mobile B, C, etc. à l’intérieur du même pays sans coût supplémentaire.
L’itinérance régionale correspond à la possibilité pour un abonné d’une société de téléphonie mobile basée dans un pays donné d’utiliser la même carte SIM et le même numéro dans les autres pays d’une région en accédant aisément aux infrastructures de télécommunications des autres sociétés non établies dans le pays de résidence de l’utilisateur.
L’itinérance internationale pour sa part consiste en la faculté pour des abonnés de sociétés de téléphonie mobile de différents pays du monde entier de pouvoir utiliser leur numéro mobile régulier pour effectuer et recevoir des appels et utiliser d’autres services mobiles sans entrave dans ces pays.
L’itinérance réduit donc le fardeau du changement de numéros lors des déplacements et facilite la conduite des affaires nationales et internationales. Dans leur Index d’intégration régionale africaine 2016, la CEA, la CUA et la BAD ont cité l’itinérance comme l’un des 16 indicateurs de l’intégration régionale, d’où l’urgence pour notre sous-région de s’afférer à sa mise en œuvre.
TIC Mag : Quel est le problème de l’itinérance en Afrique centrale, qui semble préoccuper la CEA ?
Antonio Pedro : Le problème est le coût très élevé de l’itinérance régionale et internationale, qui rend quasi impossible pour les utilisateurs l’opportunité d’en profiter. En Afrique centrale, le coût moyen d’un appel sortant en itinérance est de 689 F.Cfa la minute, soit environ 1,33 dollars avec un extrême à 6000 CFA soit environ 14 dollars. De fait, cette tarification rend quasi impossible la facilitation du commerce et d’autres échanges sous régionaux, d’autant plus que sur un plan technique elle n’est pas justifiée.
TIC Mag : Vous dites que les coûts de l’itinérance appliqués par les sociétés de téléphonie mobile en Afrique centrale sont trop élevés. À qui la faute ? Et quels sont les exemples que notre sous-région peut copier ?
Antonio Pedro : En fait, nous ne tenons personne pour responsable, nous constatons tout simplement que faute d’un cadre législatif encadrant la tarification de l’itinérance dans la sous-région, les sociétés de téléphonie mobile se sont infiltrées dans ce vide juridique en imposant leur tarif. Nous encourageons par conséquent les régulateurs des télécommunications à imposer aux compagnies de téléphonie un mémorandum d’attente tarifaire sous régional, pour mettre en place en véritable une itinérance sous-régionale à des coûts raisonnablement bas.
A titre d’information, dans les pays de l’UE, l’itinérance est très pratique, parce que les coûts sont l’équivalent d’un appel local. Au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est, le One Network Area (réseau unique sous régional) établit en 2014 a réduit les surtaxes sur l’itinérance à un maximum de 10 centimes de dollar par minute pour les appels sortants ou rentrants en itinérance.
TIC Mag : Si l’itinérance coûte cher en Afrique centrale, est-ce que cela ne permettrait pas aux pays concernés de gagner en termes de recettes fiscales ? Est-ce nécessairement mauvais du point de vue des États ?
Antonio Pedro : À première vue, cela peut sembler bénéfique pour les États et même pour les sociétés de téléphonie en raison des retombées financières relativement élevées que leur procure l’itinérance. Mais, ce n’est pas réellement le cas. Si les coûts de l’itinérance sont réduits à des niveaux négligeables, il s’ensuivra un boom dans son utilisation et les avantages liés aux économies d’échelle seront nettement visibles.
A titre d’exemple, en octobre 2014, quand le Rwanda et le Kenya ont implémenté le réseau unique d’Afrique de l’Est (East Africa One Network Area), les appels en itinérance en provenance du Rwanda ont augmenté de 100% en trois jours. Au bout de trois mois, ils avaient augmenté de presque 1000%. Avec les économies d’échelle, cela signifie des recettes accrues pour les sociétés de téléphonie mobile et l’État, mais moins de dépenses pour l’utilisateur final. Voyez-vous dans quelle mesure tout le monde est gagnant lorsque le coût de l’itinérance est bas ?
TIC Mag : Que proposent la CEA et ses partenaires pour faire avancer les choses en Afrique centrale et atteindre le niveau d’itinérance à coût zéro ou quasi nul dans la sous-région ?
Antonio Pedro : Bonne question. La CEA a commencé à travailler avec des partenaires tels que l’Union internationale des télécommunications sur cette question et les aspects y relatifs depuis 2010. Cette année-là, nous avons organisé une réunion de groupe d’experts ad hoc pour élaborer les lignes directrices des règles de télécommunications transfrontalières en Afrique centrale et sur l’itinérance.
En 2011, la CEA et l’UIT ont œuvré ensemble à l’élaboration de projets de lois-types sur les télécommunications et la cyber-sécurité dans la sous-région. Les États membres représentés ont bien accueilli cette initiative.
Entre temps, le Conseil des ministres des télécommunications et des TIC de la zone CEEAC a, à travers la déclaration de Brazzaville du 24 novembre 2016, a demandé au secrétariat de la CEEAC et ses partenaires, y compris la CEA, de (i) mettre en place le cadre réglementaire de référence pour l’interconnexion des télécommunications transfrontalières validé par le conseil des ministres en vue d’accélérer l’intégration sous régionale et le développement et (ii) de s’afférer à rendre effective l’itinérance mobile dans la sous-région dans les plus brefs délais.
Plus récemment en mai 2018, lors de la conférence sur « L’économie numérique en Afrique centrale : états des lieux et défis dans un monde globalisé » réunissant les ministres des postes et télécommunications de la zone CEMAC, nous nous réjouissons de ce que notre campagne menée conjointement avec l’UIT vient de déboucher sur la volonté affichée de la Guinée Équatoriale de s’afférer à initier ce projet de roaming sous régional.
En effet, la Guinée équatoriale a proposé d’organiser une réunion des Régulateurs de la sous-région afin d’initier ce projet de roaming, elle a en plus décidé de se rapprocher du Cameroun pour étudier les modalités d’une mise en œuvre effective de cette itinérance entre les deux pays afin d’inciter les autres pays à les rejoindre.
TIC Mag : Le cadre réglementaire pour l’interconnexion transfrontalière que la CEA a élaboré sur cette question est tout d’abord destiné à qui, et par quel mécanisme pourrait-il atteindre les instances législatives de nos pays afin d’être adopté et mis en œuvre ?
Antonio Pedro : Le cadre réglementaire de référence est destiné aux États, aux sociétés de téléphonie mobile et aux régulateurs. Mais les États constituent notre première passerelle d’entrée, à travers leurs autorités de régulation et leurs ministères des télécommunications avec qui nous pousserons les discussions. Toutefois, comme l’a dit un ancien Secrétaire Général des Nations Unies, ce genre de projet doit être porté à la connaissance des citoyens à toutes les étapes, parce que leur approbation et leur soutien sont importants pour le travail que nous faisons avec leurs gouvernements et les autres partenaires.
Nos discussions visent à stimuler le débat à tous les niveaux, de manière à ce qu’au moment où les instances gouvernementales soumettent le cadre aux organes législatifs, il y ait une appréciation et une compréhension générales de la question, pour produire de bons résultats en termes d’adaptation et de mise en œuvre de ce que nous proposons et surtout des attentes de la population.
TIC Mag : La CEA et ses partenaires tels que l’UIT et le secrétariat général de la CEEAC prêchent l’itinérance mobile sans surtaxes en Afrique centrale. N’engagez-vous pas ainsi une guerre difficile avec les sociétés de téléphonie mobile de la sous-région qui verront leurs recettes décroître ?
Antonio Pedro : Absolument non. Comme nous l’avons démontré, l’itinérance à faible coût est bénéfique en premier lieu pour les sociétés de téléphonie mobile, en raison des économies d’échelle que cela engendre. C’est une question d’augmentation rapide du chiffre d’affaires, synonyme de recettes accrues pour les sociétés impliquées. Ces sociétés devraient plutôt se réjouir d’être les principaux catalyseurs de la réduction du coût des affaires dans la sous-région, tout en continuant d’engranger de bons bénéfices.
La nouvelle doit donc être plutôt rassurante pour les sociétés de téléphonie mobile qui pour la plupart sont disposées a contribué à la mise en place de cette itinérance mobile face à la concurrence d’autres services comme (Whatsapp, Viber) qui commencent à bousculer leur modèle économique.
TIC Mag : Que faut-il pour accélérer l’introduction d’itinérance à faible coût en Afrique centrale ?
Antonio Pedro : Il faut d’abord que les autorités étatiques au niveau le plus élevé concrétisent leur intérêt pour la promotion de l’économie numérique en Afrique centrale. Nous nous réjouissons de ce que cela est déjà effectif comme je l’ai dit plus haut – avec la Guinée Équatoriale qui a récemment pris l’engagement d’être le champion de l’itinérance à faible coût en Afrique centrale, en donnant le ton sur une base bilatérale avec le Cameroun.
L’économie numérique est devenue indispensable pour le progrès des nations et des sociétés de télécommunications, notamment les sociétés de téléphonie mobile. Le réseau unique d’Afrique de l’Est (ONA) a été établi à peine 3 ans après les premières discussions à propos, parce que des instructions fermes avaient été données par les chefs d’État de la Communauté d’Afrique de l’Est. La Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et nos partenaires du secrétariat de la CEEAC sommes disposés à travailler avec les pays de la sous-région pour faire avancer ce dossier, étant donné qu’il existe déjà un guide de cadre réglementaire que nous avons produit.
TIC Mag : Un conseil aux opérateurs mobiles dans ce sens ?
Antonio Pedro : Les sociétés de téléphonie mobile de la sous-région doivent prendre la question très au sérieux et former des synergies pour créer les accords nécessaires qui élimineront les coûts élevés de l’itinérance que la région enregistre actuellement, en s’inspirant des résultats positifs obtenus dans d’autres sous-régions d’Afrique en termes de développement économique. Les organes de régulation des télécommunications des différents pays devront jouer un rôle central dans le pilotage de ce projet.
Une fois encore, l’itinérance à faible coût est très importante pour les échanges commerciaux aux niveaux sous régional et continental. Ce devrait être un ingrédient majeur pour le démarrage harmonieux de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), qui promet d’accélérer le développement de l’Afrique par l’accroissement du volume du commerce intra-africain.
Propos recueillis par Abel Akara
(Source : TIC Mag, 6 juillet 2018)
Bande passante internationale : 172 Gbps
4 FAI (Orange, Arc Télécom, Waw Télécom et Africa Access)
19 266 179 abonnés Internet
Liaisons louées : 3971
Taux de pénétration des services Internet : 106,84%
3 opérateurs : Sonatel, Expresso et Saga Africa Holdings Limited
382 721 abonnés
336 817 résidentiels (88,01%)
45 904 professionnels (11,99%)
Taux de pénétration : 1,67%
3 opérateurs (Orange, Free et Expresso)
21 889 688 abonnés
Taux de pénétration : 123,34%
3 050 000 utilisateurs
Taux de pénétration : 17,4%
Facebook : 2 600 000
Facebook Messenger : 675 200
Instagram : 931 500
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Twitter : 300 000